Les concours et la curiosité – Soif d’ailleurs avec Nadia
par Nadia Fournier
Il y a quelques semaines, le Deutsche Weininstitut m’a fait l’immense plaisir de me nommer à la tête du jury d’un concours ouverts aux étudiants et aux diplômés de l’ITHQ. Le concours portait, vous l’aurez deviné, sur les vins allemands.
Je pourrais dire que j’ai été impressionnée par le très haut niveau des prestations des participants lors de la finale et même lors de l’examen écrit de la ronde préliminaire, mais ce que je retiens surtout de ces deux journées à l’ITHQ, c’est la curiosité. Cette curiosité qui a poussé une cinquantaine de sommeliers à consacrer leurs deux journées de congé pour approfondir leurs connaissances. Cette curiosité, cette soif d’apprendre, ce goût de repousser ses limites, c’est tout! Au-delà du talent naturel, c’est ce qui distingue les bons des meilleurs. Peu importe le métier.
Parlant de meilleurs…
Ceux qui ont assisté à la finale du Concours du Meilleur Sommelier des Amériques le 25 mai dernier ont pu voir aux premières loges le fruit d’années de travail et de curiosité. Depuis Montréal jusqu’à Punta Arenas (l’épreuve finale était retransmise en direct sur le Web), nous étions quelques centaines à suivre le dénouement de la compétition.
La fébrilité s’est installée dans la salle Judith-Jasmin de l’UQAM dès l’annonce des finalistes: Carl Villeneuve-Lepage (Canada), Pier-Alexis Soulière (Canada) et Martin Bruno (Argentine). Deux Québécois en finale! Tout pour nous garder en alerte pendant les deux heures d’épreuve.
Chauvinisme mal placé? Peut-être. N’empêche que, les finales de concours de sommellerie c’est un peu comme les séries éliminatoires de la LNH: c’est toujours plus excitant quand « ton » équipe est dans l’arène.
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Carl Villeneuve-Lepage, sommelier au restaurant Toqué! et Meilleur sommelier du Canada (2017) avait la lourde tâche de briser la glace. La première épreuve consistait à servir en sept minutes, l’apéritif à trois clients. La commande: deux verres de champagne Piper-Heidsieck et un Manhattan, cocktail composé de rye whiskey et de vermouth, avec un trait d’angostura; remué, mais pas secoué (stirred, not shaken); servi dans un verre à martini et décoré d’une cerise à l’eau-de-vie ou au marasquin.
Un départ parfait pour Carl Villeneuve-Lepage qui semblait à l’aise, détendu, en pleine possession de ses moyens, et qui a même pensé à demander au client s’il avait une préférence entre la version classique du Manhattan ou le Perfect Manhattan (parts égales de vermouth blanc et de vermouth rouge). « Un détail très important et remarqué par les juges dans les concours », m’a glissé à l’oreille Véronique Rivest, elle-même nommée Meilleur sommelier des Amériques en 2012.
Le candidat devait ensuite servir un magnum de sancerre de Pascal Jolivet à huit convives. Le piège: on avait substitué le sancerre de Jolivet par la cuvée Attitude du même producteur, elle aussi composée de sauvignon blanc, mais produite en Touraine, plutôt qu’à Sancerre. Villeneuve-Lepage ne s’est pas fait prendre et a avisé les clients de l’erreur. Tout allait bien!
La troisième épreuve laissait une plus grande place à la créativité des candidats, qui devaient proposer des boissons pour accompagner un menu inspiré par la gastronomie des Amériques: depuis le caviar de Rio Negro (Uruguay), jusqu’à la tarte aux pacanes, en passant par les oursins de Puerto Montt (Chili), le ceviche mixto (Pérou) et l’ojo de bife (Argentine). Une épreuve importante, qui permettait aux candidats d’accumuler plusieurs points, notamment en proposants aux clients fictifs les apéritifs, les eaux, les thés, cafés, cigares et digestifs, mais aussi de prouver leur aisance en situation de service à la clientèle.
Les quatre épreuves suivantes misaient sur les aptitudes des candidats en dégustation à l’aveugle. Carl Villeneuve-Lepage a identifié le verre de vin rouge servi à la première épreuve comme un barolo. Pier-Alexis Soulière comme un barbaresco et Martin Bruno comme un Vosne-Romanée. La bonne réponse, nous l’apprendrons à la toute fin, était barbaresco.
On servait ensuite aux sommeliers un verre de vin figurant sur leur carte, en leur demandant de justifier leur achat auprès du directeur de leur établissement qui, apparemment, ne l’aimait pas. Des trois candidats, seul Pier-Alexis Soulière a correctement identifié le vin, un madère, en plus d’offrir, à mon avis, les meilleurs arguments à son directeur.
Après le madère, les candidats se sont vus servir trois cabernets sauvignons des Amériques. Leur tâche: aider des clients confus à déterminer de quelle région des Amériques provenait le vin servi dans chacun des verres.
On demandait par la suite au sommeliers d’identifier cinq spiritueux blancs. De mémoire, Pier-Alexis Soulière et Martin Bruno ont tous deux identifiés correctement les spiritueux contenus dans les cinq verres: grappa, vodka, London Dry gin (Tanqueray), téquila et pisco chilien.
La dernière épreuve, un classique des concours, était la carte des vins truffée d’erreurs. Seule épreuve qui permettait aux gens dans l’audience de participer (silencieusement) à la compétition. Parmi les erreurs qui s’étaient glissées dans les cartes fictives, notons la cuvée La Part des Anges, du vignoble québécois l’Orpailleur, présentée comme un vin de Bonnezeaux, dans la Loire. Plutôt évident pour les candidats locaux, un peu moins pour l’Argentin, qui a impressionné la salle en désignant l’Orpailleur comme un vin du Québec.
Borg vs McEnroe, version sommellerie
La première épreuve s’est avérée nettement plus ardue pour Pier-Alexis Soulière MS (pour Master Sommelier, un titre prestigieux détenu par seulement cinq canadiens). Manifestement nerveux, le sommelier au restaurant La Chronique paraissait désorganisé, un peu dérouté, donnant l’impression d’avoir oublié la recette du Manhattan. Le stress devenait palpable dans la salle autant que sur scène, à mesure que le temps s’écoulait. La tension a atteint son comble lorsque Soulière a entrepris de shaker le cocktail – ce qu’il ne fallait PAS faire. À partir de ce moment, tout pouvait basculer. Avec un tel niveau de pression et pareil faux-départ, il n’aurait pas été étonnant de voir un candidat quitter la scène. Tout abandonner. Ça s’est vu récemment à l’émission Les Chefs! après tout…
Alors qu’il venait de réaliser son erreur avec le cocktail, Pier-Alexis Soulière s’est arrêté net. A pris quelques pas de recul et a balayé l’espace devant lui de ces deux bras. La salle était pendue à ses lèvres. « I’m sorry. I’ve shaken your Manhattan instead of stirring it. If you allow me, I will make you another. »
(Il faut rappeler que, dans les concours de sommellerie, les candidats sont tenus de s’exprimer dans une langue autre que la leur. C’est, dit-on, ce qui explique l’absence des membres américains du Court of Master Sommelier – la plus importante association de sommellerie professionnelle des États-Unis – dans les épreuves internationales.)
Fin de la parenthèse. Revenons à cette première épreuve qui a fait trembler la salle entière. À commencer par le principal intéressé, Pier-Alexis Soulière, qui, contre toute attente, a réussi à compléter son deuxième cocktail et à servir les apéritifs aux trois convives avant que le chronomètre ne sonne.
J’ai commencé cette chronique en vous parlant de la curiosité, qui distingue les bons des meilleurs, peu importe le métier. Pour ceux de la restauration, j’ajouterais aussi le sang froid. Il suffit d’avoir travaillé quelques années dans le milieu pour connaître le niveau de stress qui s’installe parfois dans le vif du service. Cela vaut pour la cuisine autant que pour la salle. Savoir garder son calme dans tel contexte prend des nerfs d’acier. Et savoir le retrouver après l’avoir perdu en prend tout autant.
Quelques jours avant d’assister à la finale du 25 mai, j’ai regardé dans l’avion un film qui relate la finale de 1980 à Wimbledon, qui opposait Bjorn Borg et John McEnroe. Un match mythique qui avait duré 3 heures et 53 minutes et lors duquel le Suédois Björn Borg, alors #1 mondial et quatre fois champion à Wimbledon, avait connu un départ désastreux, concédant presque sans résistance la première manche à l’Américain McEnroe. Alors que nombre d’observateurs le déclaraient vaincu, Borg était revenu en force pendant les 2e et 3e manches et avait remporté la partie au terme d’une 4e manche historique, marquée par un bris d’égalité de 22 longues minutes et 34 points joués.
C’est l’image qui m’est venue en tête en voyant Pier-Alexis reprendre le contrôle de la situation pendant l’épreuve de service du magnum de faux Sancerre et sembler en pleine possession de ses moyens lors des épreuves qui ont suivi, en particulier les épreuves de dégustation. L’image d’un homme curieux, qui maîtrise son métier (… et son stress) et dont la rigueur et l’humilité font honneur à la profession.
Merci, Pier-Alexis et Carl, de nous rendre si fiers. Et encore une fois, bravo!
À boire!
Si vous pensez tout connaître du muscadet et l’avez cantonné depuis belle lurette dans la catégorie des petits blancs insipides, alors vous devez redécouvrir ce vin blanc de la Loire sous un jour nouveau, avec cette cuvée de la famille Ollivier. Le Muscadet-Sèvre et Maine 2013 Clisson est issu des terroirs de granite de Clisson, au sud-est de Nantes, et élevé en cuve pendant près de 42 mois, ce qui a permis de tempérer la nervosité qu’affiche le cépage melon de Bourgogne en jeunesse. Assez frais et désaltérant pour être servi à l’apéro, mais aussi assez substantiel pour accompagner le homard ou les poissons à chair grasse. (21,35 $)
Toujours dans la Loire, mais à l’intérieur des terres, Alphonse Mellot père et fils signent à La Moussière un Sancerre 2017 un peu plus mûr, aux parfums de fruits tropicaux, mais toujours frais et rassasiant, avec une finale délicieusement minérale qui appelle la soif. Biologique. (32,60 $)
Un duo bière et vin pour la Saint-Jean
Traditionnellement brassée pendant les mois d’hiver et destinée à étancher la soif des employés agricoles pendant les journées chaudes de l’été, la saison se distingue des autres bières belges par sa légèreté et par son acidité. L’ajout de houblons comme agent de conservation lui confère accentue par ailleurs son caractère rafraîchissant. La Saison Bee-Bop de Sutton Brouërie porte à la fois l’empreinte aromatique des levures saison et brettanomyces, ces dernières donnant à la blonde de légères notes fermières. L’amertume du houblon tire les parfums maltés en finale. Très bonne bière qu’on pourra apprécier autant à table qu’à l’apéro. (5,99 $ – 500 ml)
Sur leur domaine situé à une trentaine de minutes au sud-est de Montréal, Nicole du Temple et Yvan Quirion, du Domaine St-Jacques élaborent pour une troisième année un excellent Pinot gris élégant et tout en fraîcheur, avec juste ce qu’il faut de gras et de volume en bouche pour enrober l’acidité. L’exemple même de ce que le Québec peut produire de beau lorsqu’il s’en donne les moyens techniques. Envie de célébrer la Fête nationale avec un vin d’ici? Sautez la dessus! (21,35 $)
Des rosés sérieux
Jamais l’offre de rosé à la SAQ n’a été si riche, si diversifiée. SAQ.com Un excellent prétexte pour explorer les charmes de ces vins encore trop souvent snobés. À commencer par la cuvée Prose 2017 du Domaine des Huards, où Alexandre Gendrier pratique une agriculture biologique et biodynamique. Assemblage de pinot noir et de gamay, il présente au nez des parfums délicats de fruits rouges et s’exprime avec autant de délicatesse en bouche, tout en conservant l’acidité propre aux vins de Cheverny. Parfait pour s’ouvrir l’appétit à l’heure de l’apéro ou pour accompagner une pizza aux légumes! (23,25 $)
Dans un tout autre style, ces deux rosés de Bandol sont conçus pour la garde, plus que pour le plaisir immédiat. Tout juste arrivé dans en SAQ Signature, le Bandol rosé 2016, L’irréductible du Domaine de la Bégude contraste au premier regard avec les rosés de Provence tout pâles et délicats. Impression qui se confirme au nez et en bouche, où l’on trouve un agréable mariage d’intensité et de vigueur, avec une touche iodée, qui évoque le bord de mer. Belle bouteille! (38,50 $)
Lui aussi assez chaleureux, le Bandol Rosé 2016 du Château Canadel tapisse la bouche d’une texture grasse et laisse une sensation pleine et chaleureuse, plutôt que désaltérante. À apprécier à table, avec une salade de fenouil et un poisson grillé. Encore disponible dans une vingtaine de succursales. (31,50 $)
Rouges pour les soirées barbecue
Très belle addition au répertoire de la SAQ, le Pinot noir 2016 Pruner’s Reward, entrée de gamme chez Bellbird Spring, rencontre toutes les attentes à moins de 25 $. Des goûts purs de fruits noirs, une attaque en bouche souple et juteuse, une saine acidité et une juste dose de tanins. Un très bel exemple des pinots noirs que peut produire le secteur de Waipara, non loin de Christchurch sur l’île du Sud, en Nouvelle-Zélande. Savoureux! (24,25 $)
Mettez la main sur les dernières bouteilles de ce délicieux rouge du Pays basque, encore disponible dans une dizaine de succursales. Chaque année, l’Irouléguy du domaine Arretxea est un monument de race et d’élégance, et 2014 n’y fait pas exception. Léger en alcool (12,5 %); excellent rapport qualité-prix. (32,75 $)
Pour les viandes rouges sur le barbecue, misez plutôt sur l’excellent Faugères 2014 Transhumance de Pierre Gaillard. Généreux, bien méditerranéen et pourtant si désaltérant et digeste, malgré ses 14 % d’alcool et porté par des tanins veloutés qui donnent l’impression de croquer un fruit mûr et juteux. Beau travail. (24,70 $)
Tout aussi savoureux, encore plus abordable et un peu plus structurée, la cuvée Les Béatines 2016 du Domaine des Béates formera un mariage parfait avec des côtelettes d’agneau saignantes, parfumées aux herbes de Provence.
De Provence lui aussi, le Bandol 2015 du Domaine de la Bégude est, à ma connaissance, vendu pour la première fois à la SAQ. Encore jeune, il devrait reposer encore quelques années en cave avant de révéler son plein potentiel, mais il séduit déjà par son nez de poivre et de cuir et son tissu tannique compact, enrobé d’une chair fruitée mûre et suave. (31,50 $)
Enfin, même si les vins de nebbiolo ne se qualifient pas tout à fait comme vins d’été, le Barolo 2012 de Silvio Grasso m’a tout de même paru désaltérant par une journée chaude de juin. Mieux encore, il m’a fait espérer le début de la saison des chanterelles, avec ses parfums de sous-bois, qui se mêlent aux saveurs de griottes fraîches et d’herbes séchées. À boire sans se presser jusqu’en 2022. (47,25 $)
Santé !
Nadia
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