Hors des sentiers battus – Avril 2018

Tolérance au gel
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

J’ai été à Bordeaux essentiellement pour découvrir les vins du millésime 2017, alors je vais mettre la pédale douce sur les commérages, cette fois-ci, d’accord.

Mais… les qu’en-dira-t-on, dans le cas présent, sont on ne peut plus indiqués : on veut savoir qu’en penser finalement, de ce millésime.

Les 2017 ressemblent en rouge aux 2007 mais avec plus de chair un peu et d’acidité aussi. Pour sa part, Antoine Médeville, oenologue bordelais copropriétaire du laboratoire Oenoconseil, les comparerait plutôt aux 2012.

Dans les deux cas de figure, les vins sont dans l’ensemble digestes et  accessibles, on a souvent évité le piège du surboisement et de la surextraction. Et les taux d’alcool, alléluia, flirtent avec les 13 %, souvent même 12,5 % !

Une impression de dilution taxe cependant plusieurs vins, pomerols et saint-émilion pour l’essentiel, même si j’ai découvert quelques beaux fronsacs. Attention par contre, qui dit concentration moins élevée dit souvent, aussi, caractère en revanche plus souple, plus aisé à boire.

Partout cela dit, tant sur la rive droite que dans le Médoc ou dans les Graves, les couleurs sont soutenues et ne reflètent pas vraiment le fait que certains vins sont relativement aqueux – bien que ce dernier terme soit peut-être fort, un peu.

De fait, selon un récent rapport émis par l’Institut des sciences de la vigne et du vin de l’Université de Bordeaux, « une des caractéristiques des raisins rouges de 2017 est sûrement leur teneur élevée en acide malique, conjuguée à un potentiel tannique plus faible qu’à l’accoutumée […] Le goût des raisins apparaissait parfois terne et dilué. »

À pointer du doigt : le gel de la fin avril, le pire depuis 1991, qui a en certains endroits drastiquement réduit les rendements.

Mais aussi les pluies de début septembre, qui ont entraîné un manque de chair – dixit Ronan Laborde de Château Clinet, propos corroborés par Fabien Teitgen, dg et winemaker à Smith Haut-Lafitte.

Les prix des futurs 2017, à ce que j’ai cru entendre et comprendre, vont rester grosso modo au niveau des 2016 ; ils auraient dû monter, du fait des rendements souvent moins élevés, mais la réputation du millésime tire vers le bas.

La grande surprise, cela dit, aura été les blancs secs, les pessac-léognan, mais aussi les quelques graves dégustés. Quasi tous ceux goûtés sont bons, bourrés de fruit et au boisé superbement intégré, sans parler de l’acidité !

En rouge, mes plus hauts scores sont allés, en commençant par le meilleur, à : Valandraud, Domaine de Chevalier, Smith Haut-Lafitte, Rauzan-Ségla, Léoville-Barton, Pichon-Comtesse, Phélan-Ségur, Clerc-Milon, Langoa-Barton, Ormes de Pez, La Lagune, Brane-Cantenac, Kirwan, Giscours, La Louvière, Clos Fourtet, Pavie-Macquin, Soutard, Gazin, Clarke, Chasse-Spleen, Talbot, d’Armailhac, Belgrave et Citran. [À noter que les premiers grands crus classés et quelques autres châteaux vedettes ne participaient pas à cette dégustation organisée pour la presse par l’Union des grands crus de Bordeaux.]

Au rang des déceptions, parce qu’il y en a toujours : Lynch-Bages, Gruaud-Larose, Carbonnieux rouge, Latour-Martillac rouge, Malartic-Lagravière rouge, Olivier rouge, Canon-La Gaffelière et Trottevieille. 

Les liquoreux ont fait fort, en 2017.

Le botrytis a frappé, pourriture noble il y a eu, mais on n’a pas pu la laisser s’installer à coeur, le champignon est resté pour l’essentiel en surface, il a fallu couper court et récolter, avant que ça ne vire à la pourriture grise — dommageable, celle-là.

Résultat : un fruit immensément charmeur, très mangue et très ananas, avec tout de même quelques accents botrytisés (odeur de céleri, de champignon un peu).

Mes préférés, outre le superlatif duo Yquem / Fargues : les deux Doisy, Daëne et Védrine, Lafaurie-Peyraguey, Guiraud, Sigalas-Rabaud, Coutet, Broustet, Suau, D’Arche et Rabaud-Promis. Mention spéciale à un loupiac, petite appellation satellite, le Château du Cros, d’une exquise fraîcheur et d’un remarquable rapport qualité-prix.

Dans le carnet pipeule, un mot sur mon russe ami, Alexander Rassadkin, arrivé 16e au dernier concours du Meilleur sommelier du monde, en 2016, en Argentine, là même où notre Élyse Lambert a terminé cinquième.

« Le meilleur résultat à vie pour un Russe », précise avec fierté ce trentenaire qui a passé ces quelques journées à déguster avec moi. Pour l’anecdote : il parle anglais avec un accent russe comme on peut l’imaginer, un vrai cas d’école !

Et puis je lui ai demandé, pour la vodka : cela est-il vrai qu’ils boivent tous comme des trous, là-bas ?

Apparemment, oui, pas mal.

Il s’en désole, lui le premier. Le vin, croit-il, devrait avoir encore plus droit de cité. Pour l’heure, la consommation moyenne tourne de 8 litres par personne annuellement, en Russie – comparativement à environ 24 litres, au Québec.

Mon copain de Saint-Pétersbourg m’a aussi parlé d’un nouveau truc à la mode, le verre de vodka agrémenté de poivre, pour rendre l’expérience encore plus virile.

À vider cul sec, bien sûr. Et oh, détail, le dit verre contient 200 ml.

Une bagatelle…

Autre petit potin, presque rien : je me suis autorisé chaque matin deux ou trois petits carrés de fromage comté pas trop fait après, disons, une vingtaine de verres.

Plus que le pain dans ce contexte de vin très jeune, cela refait la bouche et replace quelques chakras, à charge pour nous de se refaire une virginité après, de ne pas juger la toute première gorgée regoûtée ensuite.

Enfin, il est vrai que goûter ces vins pas encore finis, tirés spécialement de la barrique pour l’occasion alors qu’ils sont en cours d’élevage, cela porte à faux, c’est délicat. Et bien sûr, aussi, on peut présumer que les châteaux s’arrangent pour prélever du vin de leur meilleur fût, qui sera ensuite mêlé à beaucoup d’autres.

Si bien que le vin fini, dans un an et demi, ne ressemblera peut-être pas exactement à l’échantillon soumis.

Mais chacun faisant de son mieux, on peut comparer ces efforts et voir lesquels s’en tirent mieux, justement, laissant ainsi présager une qualité relativement élevée aussi au fil d’arrivée.

En terminant : j’ai aussi goûté pas mal de 2009 et de 2015 la semaine dernière dans le Bordelais. Résultat des courses : ces années solaires, ces rouges au fruit compoté et pour tout dire mollassons, non merci, très peu pour moi.

Dans la foulée, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on doit leur préférer notamment les 2010 et les 2016, bien oui…

~

À boire, aubergiste !

Autre chose que du bordeaux pour l’essentiel, puisque je vous tanne avec ça depuis assez longtemps déjà.

Pour mémoire, il est du millésime 2016 mais le « petit » bordeaux Château Lamothe du Barry, dont j’ai parlé récemment, a ce côté léger et digeste qu’auront les premiers 2017 d’entrée de gamme à arriver sur notre marché, dans quelques mois.

Malivoire Chardonnay 2016 – Chardonnay du Niagara de très bonne facture, à la fois vif et boisé, sec aussi, et doté d’une texture relativement enrobée, avec du gras. La preuve, encore une fois, que le « chardo » réussit bien, en Ontario.

Château La Mothe Du Barry Bordeaux Supérieur 2016Malivoire Chardonnay 2016Domaine La Tour Vieille Collioure Rosé Des Roches 2016

Domaine La Tour Vieille Collioure Rosé Des Roches 2016 – Très bon rosé du Roussillon, riche et texturé, à l’acidité basse et à la fois costaud et élégant. Assemblage grenache-syrah à parts égales. À réserver pour la table – on pense d’emblée aux salmonidés. 

Jean-Michel Gérin La Champine 2016 – Pour peu q’on prenne la peine de la faire respirer, par exemple en la carafant, convaincante syrah élaborée par un producteur en vue de la Côte-Rôtie, bien typée, un peu réduite, avec du corps et beaucoup d’ampleur et de fraîcheur. Finale épicée.

Pascal Jolivet Sancerre Rouge 2015 [Importation privée]– Excellent pinot noir de la Loire, pas du tout mince et trop léger, et pour cela il faut probablement dire merci à l’année, 2015, qui a été généreuse. Il y a là du fruit, de la typicité, de la profondeur et passablement de finesse, ainsi qu’une texture serrée.

Jean Michel Gerin La Champine 2016Pascal Jolivet Sancerre Rouge 2015Château de Maligny Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre 2016

Château De Maligny Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre 2016 – Chablis premier cru de bonne tenue, non dépourvu de richesse bien que l’ensemble soit par ailleurs marqué par une certaine minéralité. Persistance notable.

Saint-Clair Pinot Noir Marlborough 2016 – Un pinot gourmand, très Nouveau Monde, au fruit mûr en même temps qu’on y perçoit des notes végétales pas du tout déplaisantes. Accents fumés en finale, assez corsé, pas de sucre résiduel apparent (seulement 2,4 g), bonne acidité.

Saint Clair Premium Pinot Noir 2016Schug Pinot Noir Sonoma Coast 2015Hidden Bench Estate Pinot Noir 2015

Schug Pinot Noir Sonoma Coast 2015 – Pinot noir de Californie de très bonne facture, marqué par la griotte au nez, lequel est par ailleurs fin, sans boisé intempestif, par exemple. Les saveurs suivent, à peine corsées, bien soutenues par l’acidité et avec une texture plutôt suave.

Hidden Bench Pinot Noir Non Filtré 2015 – Très bon pinot noir du Niagara, bien typé, à l’élevage dans le bois bien dosé, qui laisse de la place au fruit. Bonne fraîcheur de l’ensemble.

Marc

Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 30 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de grands vins!