Bordeaux… 2015 et les autres – Soif d’ailleurs avec Nadia

par Nadia Fournier

Nadia Fournier

Nadia Fournier

Dans l’édition 2016 de son Pocket Wine Book annuel, l’auteur britannique Hugh Johnson répondait à certains lecteurs qui lui demandaient s’il était toujours pertinent que les vins de Bordeaux aient droit à leur propre section dans son livre, alors que les vins de toutes les autres régions du pays y sont présentés sans distinction géographique, dans le chapitre de la France.

Sa réponse?

En traduction libre: « Bordeaux demeure le moteur du monde des vins fins, dont il est, de loin, le plus important producteur. Et la région suscite autant les débats, qu’elle stimule les investissements et l’intérêt des collectionneurs, à l’échelle planétaire. Par ailleurs, précise t-il enfin, il y a peu de meilleures boissons. »

Certains diront: « oui, mais Bordeaux, c’est plus ce que c’était depuis la spéculation, Robert Parker, les Chinois, etc. »

Peut-être bien, oui, mais à ce compte là, Bordeaux est loin d’être la seule région dont le visage a changé radicalement depuis une trentaine d’années. Prenez le Piémont, par exemple, où la plupart des vins de Barolo et Barbaresco n’ont plus rien à voir avec leurs pendants des années 1970-1980. Ou encore la Toscane, en général – et Chianti Classico, en particulier –, complètement métamorphosée en une quarantaine d’années. Et ne me dites pas que les vins de Bourgogne n’ont pas changé un peu (beaucoup) depuis une quinzaine d’années…

Quant à Bordeaux, tout n’est pas « contaminé au bois neuf » (entendu, pour vrai, dans un événement mondain, à Montréal) et bodybuildé, pour reprendre une expression chère aux Français. Après avoir moi-même un peu délaissé la région pour explorer le reste du monde, j’ai recommencé à garnir ma cave en crus bordelais il y a environ 4-5 ans.

J’ai toujours un intérêt très modéré pour les vins modernes, produits dans le but à peine dissimulé de plaire aux critiques américains, mais je ne me lasserai jamais de savourer un bon vin fidèle à ses origines et élaboré sans trop d’artifices. Surtout qu’avec leur caractère un peu austère, les bons vins du Médoc et des Graves, de Fronsac, de Pomerol et même d’appellations secondaires semblent taillés sur mesure pour la table. Essayez donc, pour voir!

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Bordeaux 2015

Le regretté Denis Dubourdieu, jadis directeur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux, avait distingué, il y a une dizaine d’années, cinq prérequis pour un millésime réussi :

  1. une floraison précoce et rapide;
  2. un peu de stress hydrique à la nouaison;
  3. encore un peu de stress pendant l’été pour favoriser un mûrissement lent des raisins;
  4. un peu de pluie en août – avec du soleil, évidemment ;
  5. des conditions clémentes pendant la période précédant et pendant la récolte

Cochez toutes ces cases et vous avez apparemment une année parfaite, selon Dubourdieu. Eh bien, à lire les compte-rendus des conditions météo et à entendre parler les vignerons, 2015 a tout l’air d’être l’un de ces millésimes… Floraison précoce et uniforme dans toute la Gironde. Des épisodes de chaleur et de sécheresse en juin et en juillet qui ont ralenti le mûrissement, des pluies au mois d’août qui ont permis à la vigne de reprendre le dessus et une fin de saison remarquable. La totale!

Les quelques dizaines d’échantillons (pris sur fûts) dégustés il y a deux ans lors d’un événement Primeur à Montréal m’avaient déjà laissé une impression très favorable. Cette impression s’est confirmée il y a une dizaine de jours, alors que la SAQ organisait pour ses clients une grande dégustation de Bordeaux 2015 dans le Vieux-Montréal.

Dans l’ensemble, des vins déjà harmonieux et étonnamment agréables à boire en jeunesse. Plus de finesse que de muscle, en général, du fruit, un bel équilibre; un très bon millésime entre classicisme et générosité.

Pour référence plus que pour les commandes (déjà terminées), voici mes coups de cœur :

Image extraite de Le guide du vin 2018.

Image extraite de Le guide du vin 2018.  

Pessac-Léognan

Château Bouscaut, Pessac-Léognan (60 $) : boisé déjà bien intégré, tanins ronds, finale saline. À revoir dans 7-8 ans.

Château Les Carmes Haut-Brion, Pessac-Léognan (122 $) : l’un des grands gagnants de la dégustation. Le domaine, racheté en 2010, a été converti à la biodynamie en 2012. Le vin a beaucoup de relief, de densité, avec un tissu tannique très fin et des couches de saveurs, profondes et persistantes.

Château Haut-Bailly, Pessac-Léognan (230 $) : un peu austère à ce stade-ci, mais c’est toujours un peu le cas avec ce vin qui mise toujours plus sur la retenue que sur la rondeur et la puissance. Équilibré, tissé de tanins compacts, mais mûrs. Un bel avenir devant lui.

Saint-Émilion

Clos Fourtet, Saint-Émilion Premier Grand Cru Classé B (175 $) : plus frais et droit que la moyenne des vins de Saint-Émilion présentés ce jour-là. Fruits noirs, tanins suaves, boisé élégant.

Château Villemaurine, Saint-Émilion Premier Grand Cru Classé (85 $) : une propriété que je ne connaissais pas; belle découverte. Moins ambitieux que d’autres, mais harmonieux et déjà ouvert.

Pomerol

Château Beauregard, Pomerol (104 $) : domaine conduit en biodynamie; tout en rondeur, assis sur des tanins veloutés; fruits noirs, amertume noble, belle longueur.

Château Gazin, Pomerol (135 $) : toujours un bel exemple de l’appellation; élégance et potentiel de garde.

Château Rouget, Pomerol (85 $) : propriétaire de la famille Labruyère (Domaine Jacques Prieur, en Bourgogne); biologique. Pour l’élevage, on mise d’ailleurs sur une chauffe bourguignonne, qui marque le vin de manière plus délicate. Hyper digeste, même en jeunesse, gorgé de saveurs de cerise. Beaucoup de plaisir dès maintenant.

Médoc

Château Fourcas Hosten, Listrac-Médoc (36 $) : un autre domaine en conversion biologique; goûts de fruits noirs nets et francs; toute la droiture et la fraîcheur recherchées dans un vin du Médoc. Une aubaine!

Château Chasse-Spleen, Moulis-en-Médoc (64 $) : un autre de mes favoris, d’année en année. Céline Villars-Foubet continue de privilégier la finesse, la buvabilité et l’équilibre. Pari réussi, vin savoureux. Quatre étoiles bien méritées dans son appellation.

Château Durfort-Vivens, Margaux (87 $) : avec Les Carmes Haut-Brion, l’autre champion de la dégustation. Élégant, gorgé de saveurs de fruits noirs, d’épices, de graphite; beaucoup de relief et de profondeur, avec cette puissance contenue qui est la marque des meilleurs. Conduit en biodynamie par Gonzague Lurton.

Château Ferrière, Margaux (68 $) : ce vin a souvent besoin de quelques années avant de se révéler. N’empêche, tout y est, dans les bonnes proportions.

Château Langoa Barton, Saint-Julien (95 $) et Château Léoville Barton, Saint-Julien (175 $) : un duo d’enfer! Le Léoville, surtout, pour sa densité, son intensité contenue, la qualité de ses tanins et ses saveurs pénétrantes qui persistent en bouche, mais aussi le Langoa, pour son équilibre, ses saveurs précises, sa patine et sa mâche tannique.
  et 

Château Cos Labory, Saint-Estèphe (175 $) : très typé de son appellation; solide, tannique, persistant et d’une tenue exemplaire; il tiendra la route longtemps.

Sauternes et Barsac
Très belle année pour le Sauternais; le botrytis s’est installé très tôt. 

Château Bastor-Lamontagne, Sauternes (47 $) : certifié bio depuis 2015; beaucoup de volume en bouche, des notes de vanille qui se mêlent au safran et à la poire pochée. Pas beaucoup de structure, mais un bel équilibre.

Château Doisy Daëne, Barsac (80 $) : propriété de la famille Dubourdieu; riche et onctueux, mais plus frais et délicat que la moyenne des vins de Barsac; structure et complexité.

Château de Fargues, Sauternes (nd) : propriété de Lur-Saluces (anciennement Yquem); le plus complet et complexe des vins de Sauternes servis ce jour-là. Onctuosité, vivacité, tenue et profondeur aromatique. Racé et élégant.

~

À boire!

L’un de mes coups de cœurs bordelais de l’année dernière provient d’un vignoble biologique et en voie d’être certifié biodynamique, situé sur le plateau de Pomerol: Gombaude-Guillot. Claire Laval a produit un excellent Pomerol 2008 (82,75 $); un vin fin et harmonieux auquel certains reprocheront peut-être son manque de puissance. J’apprécie, au contraire, sa retenue et l’élégance de ses saveurs qui persistent en bouche. À boire au cours des 5 prochaines années.

Château Gombaude Guillot Pomerol 2008Château Lagarette Cyrus 2010

Moins complexe, mais vendu pour une fraction du prix, le Château Lagarette, Côtes de Bordeaux 2010, Cyrus (26,80 $) est séduisant dès le premier nez, avec des parfums de champignons qui annoncent un vin à point. Olympe et Yvon Minvielle sont convertis à la biodynamie depuis 2003; les vinifications sont peu interventionnistes et donnent ici un excellent cabernet franc. À ce prix, vraiment, faites-en provision!

Tout aussi abordables, le Domaine de l’Ile Margaux 2014 (21,75 $) et le Château Rochers de Joanin 2015 (22,75 $) sont deux beaux exemples de l’autre visage de Bordeaux. Celui des vins de consommation courante, prêts à boire dès leur mise en marché et tout à fait typés par leur cadre tannique doublé d’une sensation de fraîcheur. De bons achats!

Domaine De L'ile Margaux 2014Chateau Rochers De Joanin 2015

Tout comme le Château Lafitte-Tramier, Médoc 2005 (34,25 $), qu’on appréciera pour ses tanins ronds, bien polis par plus de 12 années d’élevage. Une belle occasion de goûter un bordeaux parfaitement ouvert.

Longtemps endormi, le Château Beau-Site, Saint-Estèphe 2012 (39,75 $) appartient à la famille Castéja, qui lui a redonné son lustre depuis une dizaine d’années. Le 2012 est déjà ouvert et prêt à boire; le fruit laissant place peu à peu à des parfums de sous-bois et de cuir.

Château Lafitte Tramier 2005Château Beau Site 2012

Lui aussi dans le giron de la famille Castéja, le Château Haut-Bages Monpelou, à Pauillac, est le petit frère du Château Batailley. Le 2014 (51,25 $) est riche en fruit, mais aussi solide et boisé, s’appuyant sur un cadre tannique passablement étoffé. On pourra le laisser en cave au moins jusqu’au milieu des années 2020. Dans le même esprit, le Lions de Batailley, Pauillac 2014 (52,75 $) est étonnamment souple et accessible pour un vin si jeune et composé à 61 % de cabernet sauvignon. L’élevage en barriques apporte étoffe, rondeur et notes torréfiées, sans masquer les saveurs de fruits noirs.

Château Haut Bages Monpelou 2014Lions De Batailley 2014Château Deyrem Valentin 2014

Enfin, produit par la famille Sorge sur la commune de Soussans, tout au nord de l’appellation Margaux, le Château Deyrem Valentin, Margaux 2014 (39 $) est assez fidèle à l’esprit du millésime 2014 qui, dans le Médoc, a donné des cabernets de facture très classique. Droit, un peu strict pour le moment, mais harmonieux. Il vieillira bien jusqu’en 2022.

À la vôtre!

Nadia Fournier

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