Soif d’ailleurs (Soif d’ici !) avec Nadia
Mini-tournée dans les vignobles des Cantons
par Nadia Fournier
Il y a quelques semaines, pour célébrer le 150e de la Confédération – c’est plutôt une fédération, mais je vous épargne la sémantique politique –, je suis allée me balader dans les vignobles de la région de Brome-Missisquoi, dans les Cantons-de-l’Est. Rien de bien ambitieux comme exploration du territoire canadien, mais j’y ai pris grand plaisir. Petit récit d’une journée d’œnotourisme local.
Départ de la maison à 9h15. Habiter à Sutton a ses avantages: aucun pont à traverser ni autoroute à affronter. Guère plus de 10 kilomètres de chemins de terre me séparent de mon premier arrêt, le Vignoble du Ruisseau à Dunham.
J’ai visité ce domaine pour la première fois en 2010, alors que Normand Lamoureux plantait les premiers plants de chardonnay et de gewurztraminer qui allaient servir d’expérimentation pour son projet de viticulture géothermique: un système de chauffage qui garderait la vigne à une température minimale de -10°C pendant la saison hivernale et les protégerait pendant les gels tardifs d’avril à juin.
Sept ans plus tard, le lieu était presque métamorphosé. La vigne a gagné pas mal de terrain – 7,1 hectares pour être précise – mais ce qui impressionne en arrivant sur place, c’est avant tout l’envergure de l’infrastructure et des bâtiments. Le chai, tout comme le pont couvert par lequel on enjambe ledit ruisseau, est inspiré de l’architecture loyaliste caractéristique des Cantons. Imposant par sa dimension autant que par sa forme, le bâtiment principal sert à la vinification autant qu’à l’élaboration de produits de l’érable. Lors de ma visite, Sarah Gaston, copropriétaire, et Jérémie Diesel, un œnologue d’origine alsacienne en poste depuis l’an dernier, m’ont d’ailleurs fait goûter un «vin» d’érable, pris sur cuve. À peine sucré, joliment acidulé et, ma foi, très prometteur. Comme l’ensemble des vins produits jusqu’à maintenant d’ailleurs.
La vigne est jeune et le projet n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, mais les vins témoignent déjà d’une approche sérieuse, axée vers la qualité. J’ai bien aimé le Chardonnay 2014, finement boisé, assez gras et de bonne tenue; le pinot noir 2015, porté par une trame souple, avec de jolis parfums de fruits rouges. Mais ce qui m’a semblé particulièrement porteur ce jour-là, ce sont les effervescents, le blanc de blancs comme le rosé. Frais, élégants, digestes; du bien beau travail.
Vers midi, l’appétit bien ouvert par les bulles, j’ai emprunté les chemins de terre jusqu’au village de Dunham, puis le chemin Bruce, jusqu’au Vignoble de l’Orpailleur, où je devais casser la croûte avec Charles-Henri de Coussergues, l’un des fondateurs de l’Orpailleur et une mémoire vivante du vignoble québécois.
Trève de dégustation (et de crachoir) pendant le repas. Nous avons surtout parlé de tout, de rien, mais surtout de vin, et partagé un verre du très bon rosé du domaine, accessoirement. Quelque part entre l’entrée et le plat principal, il m’a raconté les premiers balbutiements de l’Orpailleur, sa visite au conservatoire de cépages de Montpellier en compagnie de son ami-plus-tard-devenu-associé, Hervé Durand, et leur rencontre avec le professeur Galet – célèbre ampélographe et auteur de nombreux ouvrages sur les cépages – qui leur avait chaudement recommandé de planter du seyval. L’histoire lui a depuis longtemps donné raison.
Le récit de son parcours des trente-cinq dernière années à l’Orpailleur donne presque le vertige. Les batailles de longue haleine, menées seul ou avec ses confrères, tant sur le plan agricole, que sur les plans technique ou politique. Les bons coups, les moins bons. Les progrès, les écueils. Charles-Henri de Coussergues n’osait peut-être pas le dire, encore moins s’en plaindre, mais son vignoble – et le vignoble québécois – s’est construit à coup de (nombreuses) petites victoires contre l’adversité.
En l’écoutant, on comprend vite qu’il porte un regard très large sur notre industrie viticole encore infiniment jeune. Sans vouloir lui mettre des mots dans la bouche, j’oserais dire qu’il semble se réjouir de voir fleurir ici de nouveaux vignobles, tenus par des gens sérieux qui font progresser la qualité. Mais ce qui ne fait aucun doute, c’est sa joie devant la perspective que ses filles reviennent travailler au domaine. « Je n’ai jamais voulu insister auprès d’elles, je les ai laissées libres de choisir leur voie, mais de les voir revenir, ça fait vraiment plaisir! »
Déjà 14h40, le temps a filé beaucoup trop vite… Et je suis en retard pour mon prochain rendez-vous. Direction: le Vignoble de la Bauge, à Brigham, où Simon Naud m’attendait, nouveaux millésimes en mains.
Simon Naud a rejoint ses parents, Alcide et Ghislaine en 1996. Il prit officiellement la relève deux ans plus tard, suite au décès de son père. Diplômé en agriculture, mais vigneron autodidacte, Simon Naud ne me semble pas prêt de s’asseoir sur ses lauriers. Son travail acharné pour mieux comprendre sa vigne et ses vins s’apparente à celui du scientifique en quête de vérité. Loin de limiter ses recherches au 7,5 hectares de la terre familiale, il a aussi co-fondé le Club de recherche et développement en Viti-viniculture du Québec, rebaptisé Comité de recherche de l’Association des Vignerons du Québec en 2001.
Et comme si la vigne n’occupait pas déjà beaucoup de leur temps et de leur énergie, les membres de la famille Naud se consacrent aussi à l’élevage de sangliers et une poignée d’autres animaux exotiques. Tout au long de l’été, les enfants peuvent donc se divertir en participant à un « safari », tandis que leurs parents dégustent les vins du domaine, assis sur une terrasse au milieu du vignoble. Pas folle, l’idée.
Quelques vins d’ici
Vignoble de l’Orpailleur, Cuvée Natashquan 2015; le vin blanc sec haut de gamme de Charles-Henri de Coussergues mise sur l’opulence du cépage vidal et sur la vivacité caractéristique du seyval, assouplie par un passage d’un an en fûts de chêne américain, dont 30 % de bois neuf. Le 2015 est ample, gras et consistant, mais sans lourdeur. Le genre de bouteille qu’on peut aisément laisser reposer en cave jusqu’en 2021.
Sur une note un peu plus modeste, mais aussi plus abordable et disponible dans l’ensemble du réseau de la SAQ, le Blanc 2016 (14,95 $) présente un nez délicat de pierre à fusil. En bouche, on retrouve la vitalité habituelle et des saveurs assez relevées qui évoquent l’écorce de lime et de citron. Dans la catégorie des vins blancs québécois tout-aller, il demeure une référence.
L’année dernière, j’avais bien aimé le Saint-Pépin 2015 du Château de Cartes, situé à Dunham, sur la même route que le vignoble de l’Orpailleur et nombre d’autres domaines. Un an plus tard, le 2015 n’a rien perdu de sa fraîcheur. Au contraire, les parfums boisés se sont estompés et le vin a gagné en profondeur et en caractère. Bonne bouteille disponible exclusivement au domaine.
Si vous manquez de temps cet été pour visiter le Vignoble de la Bauge, vous pourrez trouver dans le réseau des magasins IGA une nouvelle gamme de vins conçue par Simon Naud qui se décline en trois cuvées: Fraîche-Heure (blanc), Douce-Heure (rosé) et Rassemble-Heure (rouge).
Le premier est un bon vin blanc sec de soif; net, salin, délicat. Le second a plus de structure que la moyenne des rosés d’ici et s’apparente un peu à un rosé de Tavel. Le dernier est charnu, assez savoureux, avec des accents de petits fruits noirs sauvages et d’épices.
À la SAQ, le Équinox 2015 (14,55 $) est un bon vin blanc sec, franc, aromatique et assez gras pour la table; composé de frontenac blanc, de vidal et de frontenac gris. Parfait pour l’apéro ou pour accompagner une salade de chèvre frais.
Cette année, j’ai encore été séduite par le Chardonnay Les Rosiers 2016 (au domaine, 27 $), produit par Véronique Hupin et Michael Marler au vignoble Les Pervenches, à Farnham. Michael me confirmait que 2016 était un très bon millésime dans la région. Quelques vignobles ont même souffert d’un manque de pluie – tout le contraire de cet été. Véronique et lui ont choisi de récolter la parcelle des Rosiers trois semaines plus tard que prévu, histoire de gagner en maturité et en concentration. Résultat: un vin ample, bien nourri, parfaitement mûr, mais ne titrant toujours pas plus de 12,1 % d’alcool. Le bonheur!
Si vous êtes à la recherche de vins légers en alcool, vous voudrez aussi goûter le Zweigelt – Pinot 2016 (au domaine, 27 $), qui titre à peine 10 %. Le vin est nerveux, soutenu par une acidité bien présente, mais aussi gorgé de saveurs de petits fruits noirs et de poivre. Un régal de fraîcheur pour l’été.
Le Domaine des Côtes d’Ardoise, plus ancien vignoble du Québec toujours en activité a été fondé en 1980, soit deux ans avant l’Orpailleur. Depuis quelques années, ses nouveaux propriétaires ont fait appel à Barbara Jiménez Herréro, pour l’élaboration des vins et la supervision des vignobles. À en juger par la qualité des quatre vins goûtés récemment, l’œnologue d’origine argentine – autrefois consultante pour ŒnoQuébec – a déjà bien appris à composer avec les cépages hybrides et les aléas climatiques d’ici.
La cuvée Haute-Combe 2013 est composée de gamay, de chaunac et chelois, cultivés sur des sols d’ardoise et de schiste. Un très bon vin juteux et expressif, riche en nuances fruitées et épicées, qui offre plus de substance et de caractère que la moyenne.
Le cépage riesling est implanté sur le vignoble des Côtes d’Ardoise depuis maintenant 30 ans et ça se sent. Le Riesling 2015 est vineux, ponctué de saveurs de lime et d’écorce de citron, de miel et de cire d’abeille. Tenue, texture et bonne longueur. Excellent!
Dans le secteur du Lac Brome, le Domaine Les Brome demeure une adresse incontournable de la route des vins de Brome-Missisquoi. Non seulement le lieu est enchanteur, mais les vins élaborés par Anne-Marie Lemire, Léon Courville et l’œnologue Amélie Oustau ne cessent de s’affiner.
Pour l’apéro, on retiendra la Cuvée Charlotte 2016 (15,95 $); bon vin blanc sec et vif, qui portent l’empreinte aromatique du cépage geisenheim, heureux complément au seyval. À table, pour accompagner les pâtes aux tomates de la saison, la Cuvée Julien 2016 (15,40 $) reste l’un de mes rouges québécois favoris. Vigoureux, avec des saveurs franches de fruits rouges et noirs, d’épices, d’herbes séchées. Tous deux disponibles à la SAQ.
Et d’ailleurs…
Cette année encore, le Clos de la Févrie 2015 (18,05 $) est un très bel exemple de vin du Muscadet, élaboré avec sérieux. Presque tannique tant la matière est concentrée, il fera un heureux mariage avec des moules frites ou une poêlée de palourdes à l’ail.
Séduisant comme tout, au nez comme en bouche, le Juliénas 2016, Domaine de la Vieille Eglise (21,75 $) déploie de jolis parfums floraux, sur un tissu tannique velouté et assez compact. Pas spécialement long, mais très bien pour le prix.
Enfin, si vous avez l’habitude de boire votre beaujolais dans l’année, sous prétexte que ces vins ne peuvent pas vieillir, il vous faut goûter ces deux vins de Ghislain de Longevialle. Vous serez agréablement surpris par la fraîcheur et la vigueur de la cuvée Quintessence Beaujolais Supérieur 2009 (28,55 $) du Château de Vaurenard. Le vin est évolué et les saveurs primaires ont fait place à des notes de fumée et de champignon, mais le vin a encore de la matière en réserve. Le Beaujolais Supérieur 2010, Baron de Richemont (22,20 $) s’inscrit dans le même style « vieille France ». Un bon vin à apprécier à table; surtout qu’il ne titre que 12,5 % d’alcool.
À votre santé, bon été !
Nadia Fournier
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