Les bons achats de Marc – Mai 2017
Tromperies
par Marc Chapleau
Rien à voir, avec mon titre, avec un certain président américain – ce serait d’ailleurs un bien piètre et ordinaire jeu de mots.
Tromperies, plutôt, parce que la semaine dernière, j’étais dans la Loire, en voyage de presse, et j’y ai allègrement cocufié mes deux amours.
Je me suis en effet régalé avec de superlatifs vins de savennières (sorry, chablis) et d’exquis moelleux du Layon et de l’Aubance (désolé, sauternes et barsacs).
C’était dans le cadre de la première édition de Loire Millésime, qui a amené une soixantaine de journalistes du monde entier à découvrir le dernier millésime (2016) d’une série d’appellations ligériennes — à l’exclusion, parce qu’ils relèvent d’une autre juridiction — des vins dits du Centre, les sancerres, menetou-salons et autres pouilly-fumés.
À la croisée des chenins
Un cépage, un seul, a suffi à me faire retourner ma veste : le chenin blanc. Quel potentiel, quelle polyvalence !
Avec les savennières, d’abord. Sans aller jusqu’à dire que j’accepterais sur-le-champ de remplacer tous mes chablis par ces somptueux blancs secs à base de chenin, disons que j’irais volontiers de quelques infidélités — c’est d’ailleurs commencé.
Quant aux moelleux et aux liquoreux, ils portent des appellations comme coteaux-du-layon, coteaux-de-l’aubance, quarts-de-chaumes et bonnezeaux.
Pourquoi je les ai préférés aux sauternes — en tout cas la semaine dernière ?
Parce qu’ils sont eux aussi enrichis par la pourriture noble (le botrytis), et donc marqués par des arômes évoquant le céleri, le champignon, les épices et les fruits tropicaux. La différence avec les liquoreux du Bordelais, leur avantage concurrentiel, c’est l’équilibre acide. J’en ai dégusté qui avait plus de 160 g de sucre résiduel, soit autant voire plus que bien des sauternes et barsacs, et malgré tout, les vins laissent une incroyable impression de fraîcheur, un irrésistible goût de revenez-y.
Précision et pureté de fruit
Un mot maintenant sur les rouges dégustés durant ces quelques jours. Des saint-nicolas-de-bourgueuil et des bourgueils tout court, des saumurs, des anjous rouge, des chinons, et cetera. Le royaume du gamay et du cabernet franc, essentiellement.
Sauf exception, tous sont plutôt légers, peu tanniques et acidulés. Rien de vraiment riche ni corsé et encore moins de sucré, et rien de vraiment au goût du jour. Mais ça, c’est pour le consommateur lambda. L’amateur un tant soit peu curieux ou sinon déjà connaisseur ne peut que tomber sous le charme, en présence des meilleurs vins : pureté du fruit, tension, précision dans les saveurs.
Une mention spéciale pour les rouges en appellation saumur-champigny, qui me sont apparus plus charpentés et plus profonds, tout en étant aussi rafraîchissants.
Fiche signalétique
La Loire, c’est…
- 47 % de vin blanc, 24 % de rosé, 20 % de rouge et 9 % de bulles
- Le 1er vignoble français pour les blancs d’appellation d’origine contrôlée
- Le 2e vignoble, derrière la Provence, pour la production de rosés
- La 2e plus grande région productrice de mousseux (après la Champagne)
- Pas seulement du muscadet blanc, aussi du muscadet rouge (2 %)
- La plus longue route des vins — la Loire elle-même a près de 1000 km
- Une majorité de vins élaborés en monocépage
- Des cépages comme le melon de Bourgogne (en Muscadet), le chenin blanc, le sauvignon, le cabernet franc, le gamay, le pinot noir, le pineau d’aunis (cot) et le grolleau
- 95 % de tout le chenin planté en France ; 60 % sert à faire du mousseux, et 14 % des moelleux et liquoreux. Le reste entre dans l’élaboration du blanc sec tranquille (non effervescent)
Carnet de voyage
- Ce n’est pas, près d’Angers et de Saumur du moins, le paysage viticole le plus spectaculaire, peu ou pas de montagne, quelques vallons, la Loire qui coule en contrebas. Mais il y a les châteaux, bien sûr, et aussi le tuffeau, cette pierre blanche resplendissante avec laquelle tout ou presque semble construit, dans cette région, et qui diffuse une chaleureuse lumière.
- Les maisons troglodytes du Val de Loire — aménagées à même le roc et évoquant la Cappadoce. Relativement chaudes l’hiver, et délicieusement fraîches l’été. Cela dit, quand même, vivre dans une grotte ou une caverne…
- Les spectaculaires caves aménagées dans d’anciennes carrières ou champignonnières, comme celles d’Ackerman, à Saumur. Avec spectacle son et lumière, proprement surréaliste !
- À propos de bulles : on en fait de très bonnes dans la Loire, souvent avec passablement de sucre résiduel. Mais comme le cépage chenin — dans le cas des vouvrays, notamment — a une bonne acidité naturelle, la fraîcheur est la plupart du temps préservée.
- Anecdote : lors d’une soirée chez Ackerman, l’animateur et sommelier-vedette Philippe Faure-Brac a surpris l’assistance en poussant la chansonnette à la fin de sa présentation, empoignant le micro et entonnant Dans le port d’Amsterdam de Jacques Brel avec… beaucoup d’entrain et de conviction, disons.
- Pour finir sur une note vraiment casse-pied : les récents gels en France ont décimé les vignes de l’appellation savennières ainsi que celle du secteur du Layon (lè-yon). Tout n’est pas perdu, mais le millésime 2017 sera à l’évidence marqué par une très faible production.
L’offre à la SAQ
Il y a quelques savennières à la SAQ, dont le mythique Clos de la Coulée de Serrant 2009, toutefois pas encore arrivé en succursale. J’ai dégusté dans la Loire le millésime 2014 de ce vin, bourré d’acidité volatile, déséquilibré, impossible à apprécier pour un béotien dans mon genre. Consolation, peut-être : le 2009 à venir est issu d’un millésime solaire (année chaude) et il a quelques années de plus plus dans le buffet ; l’expérience de dégustation pourrait fort bien s’avérer plus agréable.
Autrement, j’ai craqué pour le savennières 2014 du Domaine Ogereau, cuvée « Clos du Grand Beaupréau ». S’il succède au 2013 présentement en vente à la SAQ, il faudra se précipiter, d’autant que le prix (autour de 35 $) devrait être civilisé.
Du côté des vins doux, moelleux (assez sucrés) ou liquoreux (franchement sucrés), on peut toujours se rabattre sur les Moulin Touchais, présents depuis longtemps sur notre marché. On trouve entre autres du 1997 et du 2002 à la SAQ, que je devrais goûter sous peu, vous en reparlerai.
Se tourner vers l’importation privée ? Peut-être la solution, en effet. Une recherche rapide sur le site du regroupement Raspipav avec les mots-clés « savennières », « coteaux-du-layon » et « coteaux-de-l’aubance » n’a cependant pas donné de résultats notables.
Cela dit, vous voyagerez bientôt, vous irez en Ontario, aux États-Unis, mieux encore, en France ? Vous savez ce qui vous reste à faire…
Des provisions !
~
À boire, aubergiste !
Château de Pocé Touraine Sauvignon Blanc 2016 — À un peu plus de 15 $, un bon sauvignon de la Loire, herbacé, qui sent le foin coupé, quelques notes miellées également. En bouche, c’est assez corsé et bien soutenu par l’acidité.
Henri Bourgeois Petit Bourgeois Sauvignon Blanc 2015 — Un sauvignon de la Loire avec des airs de sauvignon de Nouvelle-Zélande (pamplemousse, jalapeno). En bouche, c’est vif et frais, et sec.
Marcel Martin Chenin Blanc Saumur 2015 — Très correct chenin blanc de la Loire, qui sent à la fois le miel et le sapinage, plutôt vif en bouche, d’autant qu’il y a un reste de gaz carbonique, caractère par ailleurs pratiquement sec, finale nette et relativement croquante.
Jean-François Mériau Le Bois Jacou Gamay Touraine 2015 — Délicieux gamay de la Loire, friand comme un beaujolais avec un surcroît de minéralité, d’assise légèrement tannique et astringente. Saveurs peu corsées, acidité marquée et tonifiante, pureté du fruit. Du bonbon, très rafraîchissant !
Réserve Numérotée Muscadet-Sèvre et Maine Sur Lie Chéreau-Carré 2015 — Solide muscadet, et à moins de 15 $, une affaire ! Vif, précis, bien sec. Par ici les crustacés !
Brancaia Chianti Classico Riserva 2013 — Très bon chianti classico, à la fois ample et assez corsé, rehaussé de notes poivrées. À noter, le boisé en bride, qui laisse s’exprimer le fruit et le terroir.
Guado Al Tasso Il Bruciato 2015 — Du cabernet-sauvignon (surtout) et aussi du merlot et une touche de syrah, dans cet assemblage de Bolgheri, en Maremma. Résultat ? Un très bon rouge aux accents bordelais, axé sur le mariage entre le fruit et le bois.
Castello Di Ama Chianti Classico « Ama » 2014 — Un chianti classico issu de sangiovese essentiellement, au nez engageant assez complexe et évoquant le cuir et les fleurs. Astringence de bon aloi, caractère à peine corsé, de l’élégance.
Marc
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