Vous êtes ici en vacances ?
Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau
Depuis le temps que je voyage pour le vin et qu’avant de partir les gens autour me demandent : « Vous partez seul ? Madame vous accompagne ? », j’ai bien dû répéter des dizaines de fois que oui, je pars quasi toujours seul, rejoindre d’autres journalistes ou chroniqueurs souvent, et non, ma conjointe et mes enfants ne m’accompagnent pas, vu que je me déplace pour des motifs d’ordre professionnel.
Je sais, je sais, je ne ferai pleurer personne, il y a pire métier que d’avoir à sillonner les vignobles du monde entier, passant son temps à boire et à manger.
Mais, mais, d’un autre côté, notre emploi du temps est strictement contrôlé dans ces voyages de presse, on a rarement le temps de relaxer comme si on était vraiment en vacances.
Ce long préambule pour vous dire que je sors à peine d’une semaine passée en Toscane avec ma famille, c’est-à-dire mon exquise moitié, mes deux fils et leurs blondes.
Pour une fois, j’étais dans le vignoble, sans véritable horaire ni choses précises à faire.
Correction : comme le vin est aussi un ciment qui unit le clan, comme j’avais déjà fait le Douro et puis Bordeaux avec mes fils, laissant derrière nous nos veuves éplorées, il fut décidé avant de partir que nous allions tout de même visiter une couple de domaines viticoles.
Photos : Sylvie Guernon
« Pas de trouble pour moi », ai-je aussitôt réagi. Mais les deux belles-filles notamment, n’allaient-elles pas royalement s’emmerder ? Chaque fois, un bon trois heures à ne parler que de cépages, de rendements, de terroirs, de vinification, de levures, de barriques et tout le tremblement… Et le lendemain, rebelote, en gros le même scénario et donc d’inévitables redites.
Prendre le crachoir
Or, surprise, elles ont aimé. Il faut dire qu’étant un groupe de six, à moitié en vacances — les gens le sentaient bien et l’ont même carrément demandé —, les visites ont été un peu moins techniques. N’empêche : même si ton chum est amateur de vin, quand t’es néophyte, te retrouver devant une dizaine de vins et un crachoir, ce n’est pas évident…
Mais les Italiens — et les Italiennes — sont charmants, pas trop formels, très accommodants. Tout a coulé de source, pour ainsi dire. (Les filles ont d’ailleurs beaucoup apprécié les crachoirs individuels, petits et maniables, qu’on porte directement à sa bouche ; un peu moins les plus gros, plus distants, qui peuvent rendre la chose périlleuse… et inélégante.)
Pour tout vous dire, maintenant : nous nous sommes limités à trois domaines dans toute la semaine — alors que dans un voyage de presse en bonne et due forme, c’est aisément trois ou quatre différentes visites par jour, hélas.
Restés dans le Chianti Classico, nous sommes allés chez Castello di Ama, Antinori et Brancaia.
Chez Ama, le mariage entre l’art contemporain et le vin vole la vedette. La star du domaine, cela dit, est la cuvée L’Apparita, qui a notamment battu Petrus et Le Pin dans une dégustation à l’aveugle, en Suisse, en 1992.
Une cuvée cent pour cent merlot, c’est dire. Chère — 175 euros au domaine —, mais excellente, à la texture serrée, au boisé appuyé mais maîtrisé, et d’une belle finesse malgré la puissance.
Le lendemain, direction Antinori. Où nous attendait un choc culturel, avec d’abord une visite à Badia di Passignano (l’abbaye moyenâgeuse) puis une rencontre du troisième type à Bargino —, la nouvelle winery Antinori aux allures très Nouveau-Monde, toute d’alliage fer-cuivre vêtue.
Entre ces deux extrêmes, une visite à la Tenuta Tignanello, l’une des plus anciennes du groupe Antinori qui en compte maintenant quelques dizaines à travers l’Italie et même ailleurs. Nous avons eu droit là-bas à une verticale de Tignanello — qui a notamment révélé un superbe 2014 (à venir à la SAQ), pourtant issu d’une année relativement moyenne.
Le dénominateur commun, chez Antinori : une grande constance d’un domaine à l’autre, un caractère relativement lissé mais de la fraîcheur, dans le respect des caractéristiques propres à chaque appellation.
Enfin, chez Brancaia, maison elle aussi bien connue des amateurs québécois, un tracteur Lamborghini a d’abord monopolisé notre attention…
Tout ou presque est bon chez cette maison, et entre autres le Tre, l’Ilatraia et le Blu. Et que dire de leur grappa, vieillie un an dans le bois et pas dénaturée pour autant, tout à fait suave, d’une texture soyeuse, puissante sans du tout écorcher le gosier en descendant — parce que je l’ai avalée, celle-là, mine de rien — il était rendu 11 h du matin, après tout !
Ouvert à tous ?
Voyager vous aussi dans le vignoble en groupe, avec vos proches ? Pourquoi pas ! Bien sûr, les portes s’ouvrent plus facilement pour quelqu’un comme moi. Cela dit, les amateurs confirmés, qui adorent le vin et aussi beaucoup leur famille, habitués également à tirer quelques ficelles, ne devraient pas avoir trop de mal, en bien des endroits, à voir leur demande de rendez-vous acceptée.
De toute manière, il n’y a rien comme d’essayer.
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À boire, aubergiste !
Carpineto Vino-Nobile-di-Montepulciano 2012 — Un rouge toscan (tiens, tiens) et un vino-nobile à point, relativement dépouillé, moyennement corsé c’est dire, avec une bonne profondeur, et une persistance notable.
Gerardo Cesari Jema Corvina 2012 — Savoureux rouge de Vénétie fait en partie avec des raisins séchés. Le vin est donc un peu sucré (7 g). Les saveurs, sinon, sont très fruitées, très cerise et prune, le vin est plutôt riche, assez corsé, sans lourdeur aucune. À table, avec un tajine d’agneau aux pruneaux.
Michele Chiarlo Cipressi 2015 — Très bon barbera d’asti, avec de la vivacité et aussi de la profondeur. À un peu plus de 16 $, une bonne affaire.
Punset Barbera d’Alba 2015 — Excellent barbera d’alba bio, rouge du Piémont, à la texture serrée, à l’acidité marquée (même un peu de volatile), avec de la profondeur qui plus est, et de la persistance. Bravo !
Les Vins De Vienne Crozes-Hermitage 2015 — Superbe crozes, et même un quasi-hermitage. Couleur violacée foncée, pour commencer ; c’est en bouche que tout se joue, le fruit abonde, c’est fin, le boisé est parfaitement intégré, très grande fraîcheur… La bouteille se vide en criant ciseau !
Vignoble Rivière du Chêne Rosé Gabrielle 2016 — Le sucre d’orge au premier nez, des notes évoquant la fraise ensuite. En bouche, ce vin québécois est sec, et relativement corsé, la texture est grasse même, et la finale est légèrement saline. Bel équilibre, une certaine élégance, même.
Les Vins De Vienne Héluicum 2014, IGP Des Collines Rhodaniennes — Pur délice ! Et pure syrah aussi, avec ses notes viandées et notamment de bacon. Beaucoup de fraîcheur en bouche, du fruit tout plein, de l’élégance, tannins fondus, boisé maîtrisé, concentration moyenne et persistance (épicée) plus qu’appréciable.
Château Rouquette sur Mer Cuvée Arpège 2015 — Très bon vin blanc du Languedoc, qui conjugue richesse et fraîcheur, des notes de tabac blond, de pâtisserie. Un blanc de repas – saumon, poulet, porc.
Gonzales Byass Vermouth La Copa — Bon vermouth espagnol, herbacé, amer, mais aussi bien sucré. L’équilibre est préservé, cela dit, l’ensemble s’avère même d’une bonne fraicheur.
Château du Trignon Sablet 2012 — Très bon côtes-du-rhône rouge, à la fois généreux et élégant, passablement. De la profondeur, par ailleurs, et une bonne persistance. Prix mérité.
Robertson Winery Constitution Road Shiraz 2013 — Solide syrah sud-africaine, robuste et corsée, assez capiteuse (15 pour cent d’alcool) mais bourrée de fruit par ailleurs.
Marc
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