Soif d’ailleurs avec Nadia – Le goût du vin
par Nadia Fournier
Chacun sa façon de se divertir pendant la période des fêtes. La mienne aura été parsemée de petits cours 101 sur la dégustation de vin. Comme si tous mes proches s’intéressaient au vin tout à coup. C’est flatteur, que je me suis dit, ils s’intéressent à ce que tu fais. Puis, l’angoisse. Comment apprendre à quelqu’un à goûter? C’est pourtant élémentaire, non?
Pas tant finalement…
On a beau se prêter à l’exercice depuis le berceau – ou la chaise haute –, on goûte souvent de façon passive, sans trop réfléchir. Un peu comme une musique d’ascenseur qu’on entend sans toutefois l’écouter, les aliments (et le vin) défilent dans notre bouche sans qu’on y prête trop attention. Résultat: on a presque perdu nos repères gustatifs.
Et si on recommençait par la base?
Les goûts primaires
Les premiers écrits célèbres traitant du goût remontent à Aristote, qui les classait en huit différentes catégories: doux, amer, onctueux, salé, aigre, âpre, astringent et acide. La conception contemporaine du goût, tel que défini en 1864 par le physiologiste Adolph Fick, veut plutôt que « l’ensemble des perceptions gustatives soit une combinaison additive de quatre saveurs primaires ou fondamentales. »
À ces quatre premières saveurs – le sucré, le salé, l’amer et l’acide – est venue s’ajouter depuis l’umami, identifiée par le scientifique japonais Kikunae Ikeda, en 1908.
Le sucré
Le plus populaire de tous les goûts. L’être humain et les êtres vivants de manière générale l’aiment d’instinct. C’est tout à fait normal si on pense que, dans la nature, le goût sucré s’apparente aux fruits, riches en vitamines essentielles à la survie.
L’industrie alimentaire a vite compris son attrait sur l’homme et a exploité le filon à l’excès. Je vous mets au défi de trouver un aliment préparé dans lequel aucun sucre n’a été ajouté. J’ai mené ma petite « enquête » dans les rayons de mon épicerie et j’ai trouvé de la maltodextrine jusque dans la liste d’ingrédients des chips!
Et l’industrie vinicole n’est pas épargnée par la déferlante de sucre. Les vins édulcorés sont de plus en plus nombreux sur les tablettes de la SAQ. La bonne nouvelle – on se console comme on peut – c’est que la SAQ affiche maintenant sur son site le taux de sucre (en gramme par litre) contenu dans ses vins.
Côté vocabulaire, on dira d’un vin qui comporte un reste de sucre supérieur à 4 g/l (sauf exceptions) qu’il est doux. Ce terme générique désigne les vins arrondis par un reste perceptible de sucre, comme les vendanges tardives. Selon le degré de concentration en sucre, on parlera de demi-sec, de vin moelleux (entre 10 g et 45 g par litre) ou liquoreux (plus de 45 grammes par litre).
Contrairement à la pensée populaire, le qualificatif fruité ne signifie en aucun cas que le vin est sucré. Il définit un vin dont les parfums évoquent ceux d’un fruit.
Ah oui! Ne dites jamais à un vigneron français que son pinot noir est doux. Ja – mais! Le terme « doux » implique obligatoirement que le vin est… sucré. Pour parler d’un vin qu’il coule bien et qu’il n’est pas trop corsé, on dira plutôt: souple, tendre, suave, soyeux, velouté, gouleyant.
Le salé
Bien que longtemps ignorée, la notion de salinité est bien présente dans le vin. Dans son livre Le goût du vin (1983) – ouvrage intemporel que tout amateur de vin devrait lire au moins une fois dans sa vie – le professeur Émile Peynaud note:
« la concentration en sels minéraux du vin n’est pas négligeable et en solution modèle simple le goût salé est très net, mais dans le vin il est masqué par les autres saveurs; il est certain cependant que les sels minéraux relèvent la sapidité et donnent de la fraîcheur. »
Pour percevoir la salinité dans le vin, il suffit de goûter l’un des vins de l’île de Santorin disponibles à la SAQ ou encore le Roditis 2015 du domaine Tetramythos.
L’amer
Le mot «amertume» fait souvent peur en ce qu’il évoque des souvenirs désagréables de thé trop infusé ou des légumes verts impopulaires. Contrairement au goût sucré, qui est inné, l’appréciation de l’amertume s’acquiert avec les années. La plupart des espèces animales sont même rebutées d’instinct par les plantes amères, parfois toxiques lorsqu’elles sont crues.
Pourtant, l’amertume occupe une fonction hyper importante dans la gastronomie, puisqu’elle contribue à prolonger les saveurs en bouche. On lui doit la persistance aromatique du miel, du sirop d’érable, du café, de certaines noix, du chocolat noir… et du vin.
Bien sûr, il faut faire la distinction entre l’amertume végétale, attribuable à une sous-maturité et à une surextraction des tanins de la râfle et des pépin, et l’amertume noble, qui donne aux vins du Piémont, de la Bourgogne, de l’Etna, de Naoussa et de la Moselle, entre autres, tant d’éclat, de relief et de profondeur.
L’umami
Longtemps ignoré par la culture occidentale, le mot umami est plus populaire que jamais sur les tribunes gastronomiques. Terme japonais se traduisant comme «savoureux», il désigne la cinquième saveur de base (sucré, acide, amer et salé).
En simplifiant, on pourrait décrire l’umami comme un exhausteur de goût; un élément qui rehausse les saveurs d’un plat, d’un vin. Il s’apparente au glutamate. De nombreux aliments de consommation quotidienne sont aussi riches en umami. Les champignons, les tomates mûres, les épinards, les produits fermentés et vieillis (fromage parmesan, sauce soja, kimchi), les bouillons, etc. Même le lait maternel contient du umami!
À vous maintenant de le détecter dans le vin…
Le Sud-Ouest de la France en classe économique
Tous les soirs ne sont pas propices aux grandes bouteilles. Ce qui n’empêche pas de bien boire au quotidien. Pour moi, le Sud-Ouest de la France reste encore l’une des meilleures régions d’Europe pour se régaler à peu de frais. De la Dordogne, jusqu’à la frontière espagnole, des Pyrénées au Massif Central, les vignobles de Bergerac, Gaillac, Marcillac, Cahors, Madiran et Jurançon sont aussi riches en aubaines qu’en dépaysement.
Envie d’un bordeaux? Goûtez plutôt un vin de Bergerac. Amateur d’albariño, redécouvrez les petit et gros manseng dans les vins blancs secs de Jurançon et de Pacherenc du Vic-Bilh. Mordus de malbec argentin, faites un retour aux sources du côté de Cahors. Enfin, pour les becs sucrés, les vins liquoreux du Sud-Ouest – jurançon, pacherenc du vic-bilh, gaillac et monbazillac – sont autant d’alternatives économiques au sauternes.
Encore méconnue, l’appellation Bergerac est la source de très bons vins rouges issus des mêmes cépages que son voisin bordelais, mais souvent vendus pour une fraction du prix. Le Côtes de Bergerac La Gloire de mon Père 2014 de Luc de Conti en est un bon exemple. Même s’il est un cran plus vif que les derniers millésimes, le 2014 n’en est pas moins séduisant. N’hésitez pas à le remiser en cave pendant quelques années.
Plus fringant, gourmand et absolument délicieux en 2015, le Peyrouzelles de Causse Marines offre une expression très pure du terroir de Gaillac. Issu de la viticulture biologique, cet assemblage de braucol, de syrah et de duras n’est ni filtré, ni chaptalisé, ni acidifié, comme tous les vins de Virginie Magnien et Patrice Lescarret.
Madiran: Brumont et les autres
Depuis les années 1980, Alain Brumont a mené sa petite révolution à Madiran et a prouvé, à coup de cuvées ambitieuses, que le tannat pouvait donner d’excellents vins. À commencer par la Château Montus Cuvée Prestige. Produite pour la première fois en 1985, elle avait propulsé Alain Brumont au firmament du Madiran, tout en lui attirant une légion de fidèles qui apprécient le style opulent et bien ficelé de ses vins. Son 2009, c’est le moins qu’on puisse dire, est à la hauteur des attentes. Seul bémol, un prix en hausse de 20 $ par rapport à l’année dernière… (70,25 $)
Plus modeste, mais lui aussi produit par Alain Brumont et vendu pour une fraction du prix le Madiran 2010 Tour Bouscassé est composé de tannat à 40 %, de cabernet sauvignon et de cabernet franc. Séveux et rassasiant, avec des accents de graphite, des notes ferreuses et une sensation saline qui accentue son caractère umami. Très belle bouteille pour le prix. (18,85 $)
Avec Brumont, la famille Laplace (Château d’Aydie) compte parmi les leaders de Madiran. Leur Odé d’Aydie 2012, deuxième vin du domaine, est passablement robuste et large d’épaules et pourra tenir jusqu’en 2020. (19,80 $)
Au Domaine Labranche Laffont, Christine Dupuy pratique l’agriculture biologique depuis 1993 et élabore des vins si élégants qu’on a peine à croire qu’ils sont composés de tannat, cépage reconnu pour son caractère… tannique. Son Madiran Tradition 2013 s’inscrit dans la continuité des derniers millésimes, fin, digeste et agréable à boire à table. (17,70 $)
Cahors, grand terroir de l’ombre
L’époque où Cahors ne produisait que des vins rudes à vous casser les dents est révolue. Les cahors d’aujourd’hui ont gardé leur tempérament robuste et généreux, mais on est loin gros rouges musclés impossibles à boire avant dix ans.
Depuis 1987, les frères Verhaeghe (Château du Cèdre) se sont taillé une solide réputation avec des vins de facture moderne, à la fois séveux, solides et harmonieux. Leur Chatons du Cèdre mérite une mention spéciale pour sa constance au fil des ans; généreux et bien construit, le 2014 a tout ce qu’il faut de corps. (14,20 $)
Situé dans la partie ouest de l’appellation, comme le Château du Cèdre, le Clos la Coutale produit un excellent Cahors 2014; hyper attrayant avec son nez de violette et de bleuet; corsé, mais sans aucune dureté. (15,70 $)
Depuis qu’ils ont créé leur domaine en 1999, Catherine Maisonneuve et Mathieu Cosse (Cosse-Maisonneuve) ont toujours privilégié l’élégance et la « verticalité », à la concentration et la surmaturité. Issus de la biodynamie, leurs cahors sont si soyeux, veloutés et élégants qu’on aurait vite fait de les confondre avec des merlots du Libournais. La Fage 2012 en est l’exemple parfait. Sur un mode un peu plus rustique, mais non moins séduisant, le Combal 2013 propose une sorte d’hybride entre un vin de soif et la charpente habituelle du Cahors.
Blancs comme neige…
Surtout connu pour ses vins rouges, le Sud-Ouest produit de plus en plus de bons vins blancs secs qui puisent leur originalité dans des cépages uniques à la région.
Disponible à la SAQ depuis plus de quinze ans, la cuvée Les Greilles du domaine Causse Marines, à Gaillac, repose sur un assemblage de mauzac, de loin-de-l’œil et de muscadelle. Peu d’acidité en apparence, mais pourtant plein de fraîcheur, grâce à une trame saline qui donne du nerf à l’ensemble. Pas de goût boisé, mais du caractère à revendre. (23,85 $)
Pas de bois non plus pour le Jurançon sec 2015, Chant des Vignes de la famille Ramonteu (Domaine Cauhapé); on mise plutôt sur la pureté aromatique et sur la vitalité du gros manseng. Pas très long, mais original et très bien fait. (18,40 $)
En plus du tannat, cépage roi de Madiran, Alain Brumont croit beaucoup aux vertus du petit courbu pour les vins blancs secs. Assemblé ici au gros manseng, il donne au Pacherenc du Vic-Bilh sec 2011, Torus passablement de volume et l’acidité nécessaire pour rehausser les goûts de fruits blancs. À découvrir si vous aimez les vins blancs amples et joufflus. (17,60 $)
Toujours sur Pacherenc du Vic-Bilh, la cuvée Ericka 2014 du Château Laffite-Teston est mise en valeur par un élevage sous bois de mieux en mieux maîtrisé, ce qui permet d’apprécier l’originalité des cépages petit manseng, gros manseng et petit courbu. Un bon achat! (22,55 $)
Enfin, je profite de l’occasion pour vous souhaiter une délicieuse année 2017.
À la vôtre!
Nadia Fournier
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