Pour l’amour du chardonnay
Soif d’ailleurs avec Nadia
Si vous avez, comme moi, déjà travaillé en restauration, vous avez certainement entendu des dizaines, sinon des centaines de clients vous dire qu’il ou qu’elle – c’est plus souvent une cliente, selon mon expérience – « n’aime pas le chardonnay ».
Avec un peu de chance, vous avez peut-être entendu ces personnes affirmer du même souffle qu’elles raffolent des vins de Chablis – issus de chardonnay –, avant de commander une bouteille de pouilly-fuissé (100 % chardonnay, lui aussi).
« C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle », pour reprendre la devise de feu le magazine Croc.
Connu universellement et planté à peu près dans tous les pays viticoles du monde, le chardonnay est un peu devenu un nom générique pour désigner un vin blanc gras, beurré, boisé. Malmené par tant d’entreprises qui le réduisent au statut de caricature, ce cépage est pourtant un formidable révélateur des grands terroirs et n’a pas son pareil pour traduire explicitement le goût du lieu où il est cultivé. Cultivé dans les règles de l’art avec de faibles rendements, il sait s’effacer pour exprimer tantôt la puissance d’un Meursault-Perrières, tantôt l’élégante minéralité d’un Montée de Tonnerre.
Né en Bourgogne quelque part au Moyen-Âge – à Chablis, les moines de l’abbaye de Pontigny le cultivait déjà au 12e siècle – le chardonnay a révélé plusieurs grands sites viticoles du monde. Montrachet, Corton-Charlemagne, Chablis Le Clos et tous les grands vins blancs bourguignons lui doivent leur envergure proverbiale.
Et si la Bourgogne a depuis longtemps perdu le monopole des grands vins de chardonnay, il reste que ce cépage n’atteint vraiment des sommets de complexité que lorsqu’il est cultivé dans des zones fraîches ou tempérées. Voilà pourquoi la Bourgogne donne des chardonnays infiniment plus fins que ceux de l’Arizona, par exemple. En fait, l’histoire a depuis longtemps prouvé que les vins fins et subtils provenaient de régions où le climat n’avait rien d’excessif.
De toutes les nouvelles régions du monde où le chardonnay est cultivé, la péninsule du Niagara est, de loin, celle qui suscite le plus d’intérêt de la part des critiques internationaux – Jancis Robinson, Steven Spurrier et Matt Kramer, pour n’en citer que les plus célèbres. Et si la tendance se maintient, l’enthousiasme est là pour rester puisque, chaque millésime, les chardonnays produits sur l’escarpement du Niagara (Beamsville Bench, Lincoln Lakeshore, St. David’s Bench, Twenty Mile Bench, Vinemount Ridge) gagnent en précision et en complexité, mais aussi en caractère. Le succès du cépage bourguignon sur la péninsule est tel qu’on lui consacre un festival de trois jours.
En plus d’une vingtaine de producteurs locaux, la sixième édition du International Cool Climate Chardonnay Celebration (i4C), qui se tenait du 22 au 24 juillet 2016, réunissait une trentaine de vignerons «étrangers», depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’à la Nouvelle-Zélande, en passant par la Bourgogne, la Sicile, le Trentin, le Péloponnèse, le Chili, la Colombie-Britannique et la côte ouest américaine.
Pour redécouvrir le chardonnay sous un jour «cool» et étancher votre soif en ces belles journées d’été, voici une sélection d’excellents chardonnays goûtés récemment au i4C ou en préparation du Guide du vin 2017.
1. Depuis qu’il est à la barre de Flat Rock Cellar, l’œnologue Jay Johnston ne cesse d’accroître la qualité des vins du domaine. Son Chardonnay 2013 Twenty Mile Bench est nettement plus achevé, avec un boisé mieux intégré et une élégance digne de mention pour le prix (23 $).
2. Le financier Morey Tawse est un amoureux des vins de la Bourgogne. Son domaine est la source du très bon Chardonnay d’entrée de gamme, frais et subtil, mais l’immense talent de l’oenologue Paul Pender se manifeste surtout dans la cuvée Quarry Road 2012, seulement disponible au domaine, pour le moment.
3. Établi à Beamsville depuis 2003, le Québécois Harald Thiel a fait de Hidden Bench l’un des domaines les plus réputés de toute la péninsule. Élaboré par l’œnologue sud-africaine Marlize Beyers, le Chardonnay Estate 2012 traduit la générosité caractéristique du millésime, avec une belle ampleur aromatique et une finale fraîche.
4. Les Montréalais Mary Delaney et Thomas Bachelder ont mis sur pied un commerce de négoce « haute couture », qui s’étend de la Bourgogne jusqu’à la côte Ouest américaine, en passant par la péninsule du Niagara. Bien plus qu’un chardonnay variétal, leur Minéralité 2012 Niagara porte très bien son nom, avec un usage mesuré du bois de chêne et une expression typée du terroir de Niagara. (23,30 $)
5. Même producteur, autre région, le Chardonnay 2013 Oregon de Bachelder déploie un nez intense aux accents de pomme blette et de notes grillées du bois, qui lui donne des airs d’un vin blanc de la Côte de Beaune et fait preuve d’une élégance peu commune dans la région de Willamette.
6. Un peu plus au sud, dans la Russian River Valley, Ramey continue de produire un très bon Chardonnay qui se distingue du lot par son équilibre et par une subtile touche boisée, 14 % du volume étant vinifié en fûts (français et hongrois) neufs. Généreux sans être lourd; très réussi.
7. Mené avec brio par Dimitri Bazas, la maison de négoce bourguignonne Champy continue de produire un très bon Chardonnay 2014 Signature; à retenir parmi les bons vins blancs génériques de Bourgogne à la SAQ.
8. Dans une dégustation à l’aveugle, on aurait vite fait de prendre le Chardonnay 2014 Sans Barrique de Bouchard Finlayson pour un vin de Chablis. Très sec, minéral et tranchant, sans la moindre verdeur. Excellent!
9. Enfin, on pourrait débattre longtemps sur la pertinence d’inclure un vin sicilien dans un festival dédié au chardonnay de climat frais – l’île italienne étant située à la même latitude que la Tunisie. Mais pour Thomas Bachelder, l’un des instigateurs de l’événement, la définition d’un «cool climate» chardonnay ne se résume pas à la situation géographique. « On peut produire des gros chardonnays boisés un peu partout dans le monde, même au Canada, mais ce qui nous intéresse ici, ce sont des vins digestes qui traduisent les subtilités de leurs terroirs d’origine. » En cela, le Chardonnay 2014 de Planeta répond à toutes les attentes. Issu de raisins de différents secteurs, dont une parcelle plantée à 450 mètres d’altitude, sur des sols calcaires, le vin a beaucoup gagné en fraîcheur depuis quelques années; le bois occupe une place moins importante et l’onctuosité a fait place à plus de tension. Évidemment, on est loin d’un profil chablisien, mais on est aussi très loin de l’idée d’un chardonnay de climat chaud.
Santé!
Nadia Fournier
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