California Dreamin’
Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau
J’arrive de Californie. Plus précisément, des régions de Napa et de Sonoma. Cela faisait bien trois ou quatre fois que je m’y rendais depuis les années 1990. Premier constat, vite comme ça, sans même compulser mon calepin de notes : Napa toujours aussi impressionnante, aussi prestigieuse, mais ô combien la région juste à l’ouest a le don de faire résonner des cordes sensibles…
Les paysages (souvent vallonnés), l’atmosphère (plus conviviale, moins solennelle) et bien sûr aussi les vins (plus nerveux, plus hop-la-vie), tout fait de ce dernier endroit, Sonoma, une destination de choix — qu’on se rende là-bas ou qu’on doive se contenter de flâner dans les allées de la SAQ.
Le Golden State, comme on appelle aussi cet État plus peuplé que le Canada, ne se limite bien sûr pas à ces deux régions, sur le plan viticole. Mais elles demeurent les plus connues. Surtout Napa.
Napa, c’est la vedette, c’est quatre pour cent de la production de l’État en volume, mais quelque chose comme 25 pour cent en valeur. La faute, pour ainsi dire, à ces cabernets-cultes qui ont propulsé la région au firmament — et au premier chef Château Montelena, récompensé lors du fameux Jugement de Paris, en 1976. Napa c’est bien sûr aussi Robert Mondavi, Opus One, Harlan Estate, Groth, Dominus et tutti quanti.
Le revers de cette renommée, pour le consommateur s’entend, c’est que les prix sont à l’avenant. Les meilleurs vins de la Napa coûtent la peau des fesses. Si on peut se les offrir, ou si on carbure à la contemplation des étiquettes, on n’a pas à chercher longtemps : la qualité est de fait élevée, et les vins, ai-je pu constater lors de mon séjour, sont moins boisés, moins baraqués et moins démesurés que par le passé. (À moins que ce ne soit les autres rouges du monde, ceux de Bordeaux notamment, qui ont pris tellement de coffre (lire : d’alcool) depuis une quinzaine d’années que les méchants Cabs californiens, en comparaison, ne sont plus les éléphants dans le magasin de porcelaine.)
Pendant ce temps, dans Sonoma…
Sonoma, elle, se chauffe d’un tout autre bois. Au propre comme au figuré. Ses vins, dans l’ensemble, climat souvent plus frais aidant, sont plus nerveux, plus acidulés — et ainsi plus conformes au goût de beaucoup de Québécois, reconnus pour avoir un palais plus français, formaté pour composer avec la vivacité et même l’amertume. (Quoique des bibittes sucrées californiennes comme le Ménage à Trois ou l’Apothic Red cartonnent sur notre marché, plongeant les connaisseurs d’ici dans la plus grande perplexité…)
Le paysage est différent, également, on l’a dit d’entrée de jeu — bien qu’en toute justice, la Napa voisine ne se limite pas au plancher de la vallée, au fameux Valley Floor. Pour preuve, le montagneux et impressionnant secteur de Atlas Peak, où est notamment implantée la maison toscane Antinori avec sa winery Antica.
Sonoma, c’est pour l’essentiel la vaste appellation régionale Sonoma County, qui comprend des sous-régions comme Sonoma Coast, Dry Creek Valley, Russian River Valley, Alexander Valley et aussi Rockpile, tout au nord, que nous avons découverte à la fin de notre séjour avec les excellents vins de Mauritson, à la fois corsés et rafraîchissants, qui n’ont sauf erreur pas encore fait leur chemin jusqu’au Québec.
Pour autant, tout ce qui provient de Sonoma n’est pas à acheter les yeux fermés, loin de là. Le bémol le plus fréquent, et cela vaut également pour plusieurs des vins de la Napa que nous avons pu goûter, c’est un usage parfois intempestif du bois, qui se traduit par des notes de caramel, de butterscotch par exemple dans les chardonnays, et par des arômes de vanille doublés de tannins plutôt asséchants, dans les rouges.
Mais encore une fois, comparée à ce que j’ai pu goûter personnellement sur place lors de mes précédents voyages, l’offre californienne se rapproche de plus en plus des exigences de nos palais québécois, on a envie de boire plus qu’un verre, la fraîcheur est souvent au rendez-vous.
Maintenant, il y a bien entendu la question du taux de change et des prix possiblement appelés à monter…
Mais ça, c’est une autre histoire.
Goutte-à-goutte
La vie après le « F’ing Merlot » du protagoniste de Sideways : Si Miles, le personnage en question, avait plutôt raison à l’époque de décrier ce cépage, on trouve de plus en plus d’excellents Merlots en Californie et nommément dans la Napa, pas du tout caricaturaux.
Le cas particulier de Carneros : cette région a un pied dans la Napa et l’autre dans Sonoma. On y produit notamment de bons mousseux et de bons pinots noirs.
Les cuves en forme d’oeuf et la macération préfermentaire à froid : inutiles, selon Daniel Baron, oenologue chez Silver Oaks, dans Napa, après avoir longtemps été avec Dominus. Au sujet de cette dernière opération, l’oenologue prétend en substance que tout ce qu’il y a de bon à extraire des raisins l’est de toute manière à l’étape de la fermentation elle-même, à chaud donc.
Il n’y a pas vraiment de mauvais millésimes en Californie, comme il peut y en avoir, par exemple, en France. Le climat est non seulement relativement chaud, il est aussi plutôt constant. Exemple : de mai à octobre, année après année, il ne tombe pratiquement pas une goutte de pluie. Qui dit mieux ?
Le chardonnay, le cabernet-sauvignon et le merlot demeurent les plus plantés, en Californie. Mais on compte tout de même plus de 100 cépages cultivés. Il y a entre autres ici et là de belles syrahs et de bons viogniers, pas du tout à dédaigner.
Expérience surréaliste chez Raymond Vineyards — Ce domaine de Napa Valley, propriété de la maison française Boisset, est en biodynamie, cependant que ses chais et installations, bizarrement décorés sur le thème de la fête, évoquaient la semaine dernière la licence, voire la luxure. Mannequins coquins, vidéos suggestives, ambiance de maison close : n’eût été les deux consoeurs qui m’accompagnaient et qui ont été bouches bées elles aussi, j’aurais pu croire que c’était encore une fois mon côté prude et low profile qui me jouait un tour…
~
À boire, aubergiste !
Quelques bons vins californiens, d’abord, pour rester dans le ton.
Cabernet Sauvignon Innisfree Napa Valley 2012 — L’exception qui confirme la règle, ce rouge de la Napa se vend « seulement » 42 $… Une belle matière en bouche et un boisé appuyé, mais sans que cela n’engendre de déséquilibre ni n’assèche le vin. Prêt à boire, mais se conservera encore sans problème trois ou quatre ans.
Chardonnay Morning Fog Wente 2014 — Typique chardonnay californien, vanillé et fruité tant au nez qu’en bouche. La fraîcheur est là cependant, ce n’est pas lourd, tout typé Nouveau Monde que ce soit.
Le Cigare Volant Bonny Doon 2010 — De la complexité sur le plan aromatique, et à peine si j’ai agité le verre. La cerise, le poivre, quelque chose qui rappelle la pâtisserie, caractère fondu et à point.
Grenache Besson Vieilles Vignes Birichino 2013 — Un bon grenache californien, assez corsé, généreux, avec une bonne masse de fruit et une indiscutable fraîcheur. Très réussi ! Et à bon prix.
Raymond Cabernet Sauvignon Napa Rutherford 2011 — Pas donné (87 $, exclusivité SAQ Signature), mais très sérieux, à la fois savoureux et nerveux, puissant et tonique. Le boisé est pour l’heure prononcé, et chocolaté, mais la concentration est là, qui contrebalance cette composante. Un très beau cabernet californien.
Puis ce rouge portugais, le Van Zellers Douro 2013, à la fois généreux, d’une belle fraîcheur et plutôt élégant. Du Rhône Nord, le Guigal Crozes-Hermitage 2012 comblera tous les amateurs de syrah bien enveloppée, tandis que le Marques de Riscal Rioja Reserva 2011 est à la fois riche et juteux, boisé et bien goûteux.
Marc
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