Soif d’ailleurs avec Nadia – Éloge des imperfections
par Nadia Fournier
« La perfection est facilement reproductible, tout bon technicien sait faire. Par contre, ces petites imperfections qui donnent aux vins leur caractère, impossible de les copier. » – Peter Fischer
Devrait-on excuser les imperfections dans le vin, sous prétexte qu’elles lui confèrent un supplément de caractère, une singularité ? Vaste sujet sur lequel on pourrait s’étendre longuement et qui polarise souvent les professionnels du vin. Chacun ayant une opinion arrêtée sur la chose.
Si j’aborde la question, c’est qu’au cours des derniers mois, pendant le marathon de dégustation annuel du Guide du vin, me sont revenus en tête les mots de l’auteur polémiste français Michel Houellebecq qui, constatant l’uniformisation des cultures à l’échelle planétaire, comparait le monde à un immense aéroport. Comme si chaque grande ville, à force de gentrification et d’implantation de cafés Starbuck, finissait par se ressembler.
Le nerf de la guerre, c’est l’authenticité
À une autre échelle, le vin est en proie au même fléau. Autrefois, l’écart qualitatif entre les différents vins offerts sur le marché était énorme. Il y avait la piquette et les autres. La quête des consommateurs était donc de trouver des vins fiables, de millésime en millésime. Aujourd’hui, le nerf de la guerre n’est plus tant la qualité, mais l’authenticité. Les progrès œnologiques accomplis depuis une trentaine d’années font en sorte qu’il n’y a plus autant de vins défectueux à la SAQ. En revanche, il y a beaucoup plus de vins ennuyants.
Devrait-on préférer l’ennui aux défauts? Je ne sais pas. J’imagine que ça dépend des goûts, comme toujours d’ailleurs. Certains préfèrent les vins techniquement irréprochables, d’autres tolèrent un peu de volatile par ci, un peu de brette et de réduction par là, pour autant que le vin soit harmonieux.
« Fair enough », direz-vous. Mais qu’est ce qui définit un vin harmonieux ? Plein de choses, mais surtout une : l’équilibre. On ne répétera jamais assez, dans le vin, comme dans la vie en général, tout est une question d’équilibre.
Cela dit, et en toute subjectivité, j’ai inifiniment plus de plaisir à boire un petit rouge rustique et imparfait qui demeure fidèle à ses racines, qu’un blaufränkisch autrichien qui se prend pour un merlot californien, un aglianico du Basilicate aux allures de Jumilla boisé ou encore un albariño de Galice, qui se donne des airs de sauvignon blanc néo-zélandais.
Dans cet esprit, voici une série de vins qui n’ont rien d’ambitieux et qui frôlent parfois la rusticité, mais qui traduisent avec authenticité et sincérité, le goût de leur lieu d’origine.
Cave de Roquebrun, Saint-Chinian 2013, Terrasses de Mayline :
Le saint-chinian en mode animal. Plutôt que les parfums habituels de la garrigue, vous trouverez dans ce 2013 des parfums de cuir, de viande fumée, sur un fond de menthe séchée, qui apporte une certaine fraîcheur aromatique. Un peu rustique certes, mais à moins de 15 $, les vins ayant autant de caractère se font de plus en plus rares.
Tetramythos, Agiorgitiko 2013, Achaia :
Sur les flancs du mont Helmos, à mi-chemin entre Patras et Corinthe, Panayiotis Papagiannopoulos élabore un très bon vin issu du cépage agiorgitiko. Un peu rustique et déstabilisant aux premiers abords, avec son attaque en bouche nerveuse, qui présente un reste de gaz, mais surtout plein de fraîcheur et agrémenté de notes d’anis et de poivre. Simple, mais délicieux.
Domaine St-Jean de la Gineste, Corbières 2013, Carte Blanche :
Toujours un peu austère à l’ouverture, ce vin composé à 50 % de carignan est élaboré par Dominique et Marie-Hélène Bacave. Rien à voir avec les vins du Languedoc qui se livrent à la première gorgée; la bouche vive, stricte et tendue, mêlant les notes animales et fruitées. Autant de caractère pour le prix mérite une mention spéciale.
San Fabiano Calcinaia, Casa Boschino 2013, Toscana :
Sangiovese (70 %), merlot et cabernet sauvignon, issus de l’agriculture biologique, donnent un très bon vin typiquement toscan par sa vigueur tannique, son acidité et ses bons goûts de fruits noirs et de cuir. Très bon achat à ce prix.
Illuminati, Montepulciano d’Abruzzo 2012, Ilico :
Les amateurs de vin méditerranéen ne seront pas déçus par ce vin chaleureux et un peu rustique, comme se doit de l’être le montepulciano. Plus vigoureux que le 2011, mais non savoureux, il gagne par ailleurs à être aéré une demi-heure en carafe.
Grifalco, Aglianico del Vulture 2011, Gricos :
Issue de l’agriculture biologique et vinifié avec des levures indigènes, cet aglianico n’a aucun défaut apparent et s’avère techniquement quasi irréprochable. Par contre, il se situe à des lieues des cuvées modernes, sucrées et copieusement boisées. Les saveurs se dessinent avec retenue et élégance et le vin a beaucoup de releif en bouche. Une excellente bouteille pour découvrir les charmes insoupçonnés de cette variété du sud de l’Italie.
Ganevat, Jean-François; Y’a Bon the Canon 2014 :
Comme beaucoup de produits agroalimentaires, ce vin est né de la nécessité. Suite à quelques récoltes déficitaires dans le Jura, Jean-François Ganevat a suivi la piste du raisin jusque dans le Beaujolais, où il a acheté du gamay, qu’il assemble à du petit béclan, gros béclan, geusche, et autres variétés obscures cultivées dans le Jura. Par conséquent, le vin est commercialisé comme un vin de table. Ce qui n’enlève rien à ses qualités. Au contraire même! Un très bon canon, vinifié sans ajout de sulfite, éclatant et débordant de fruit comme peuvent l’être les vins « nature » à leur meilleur.
Castro Ventosa, El Castro de Valtuille 2010, Bierzo :
En 2010, on retrouve dans ce vin élaboré par le talentueux Raúl Pérez – aussi vinificateur chez Bodegas Estefania (Tilenus) –, un caractère un peu sauvage et une puissance contenue qui le rendent immédiatement séduisant. Très complet; beaucoup de vin dans le verre pour le prix.
Santé!
Nadia Fournier
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