Darwineries
Hors des sentiers battus17 juillet 2015
par Marc Chapleau
L’évolution n’est pas qu’une théorie, dirais-je d’entrée de jeu pour singer ce bon vieux Charles. En tout cas, dans le vin, elle se vérifie. La preuve, si l’on veut, ce changement que j’ai pu observer au fil des années…
Quand j’en étais à mes premières armes dans le vin, je feuilletais jour après jour des livres comme Le Goût du vin, de l’oenologue français Émile Peynaud, et souvent je tiquais sur les photos : mais comment font-ils pour bien déguster dans de si petits verres, droits, ouvragés parfois, et qui ne se referment même pas vers le haut ?
À l’époque, fin des années 1980 et début des années 1990, le verre Inao (voir la photo) partout volait le show. C’était l’outil parfait, conçu par un sérieux et scientifique institut. Hauteur, largeur, épaisseur, courbes idéales, minceur du buvant pour un contact optimal là où on pose les lèvres… Bon sang ! un peu plus et on aurait couché avec, tellement il était canon, le petit !
[photo: À gauche, ce bon vieil Inao ; au milieu, l’Expert Tasting de Spiegelau ; et à droite, un verre qui ressemble au précédent mais en légèrement différent et en plus volumineux, fabriqué par Stölzle et que, personnellement, j’utilise de plus en plus.]
L’ÉVOLUTION EN MARCHE
La prédominance de l’Inao a duré une quinzaine d’années. Puis, vers 2005, il a commencé à céder du terrain devant un nouveau venu : l’Expert Tasting, fabriqué par la maison Spiegelau, rachetée depuis par le géant Riedel.
Surtout pour les vins blancs, mais pas seulement, l’Expert s’est répandu comme une traînée de poudre : plus haut sur patte que l’Inao, moins pataud, et avec un calice plus gros, plus rond, qui laisse plus facilement les arômes s’exprimer.
Aujourd’hui, il n’y a pas photo, comme disent les cousins d’outre-mer, ceux qui ont un drôle d’accent pointu : au point où si nous, professionnels du vin, arrivons sur un lieu de dégustation et qu’on aperçoit de vieux et ringards Inao sur la table, eh bien on prend nos cliques et nos claques et on rebrousse chemin, pas question de déguster là-dedans.
J’exagère, à peine.
Sauf qu’on s’habitue à un format, et on en est rendu là, avec l’Expert Tasting. (Déguster dans un Inao demeure bien sûr possible, sauf que celui-ci a aujourd’hui la fâcheuse réputation de ne pas mettre les vins en valeur et, au contraire, de faire ressortir leurs éventuels défauts.)
LES AMOURS ÉPHÉMÈRES
Mais voilà, on n’arrête pas le progrès.
Moi qui ne jurais que par le remplaçant de l’Inao, voilà que je le trompe de plus en plus souvent. Même que ces temps-ci, l’Expert Tasting est à mes yeux devenu trop petit, trop étriqué, trop rabougri…
Je suis passé à l’acte pour de bon alors que j’achetais des verres pour un copain. J’étais dans la boutique, je capotais un peu sur l’étendue de l’offre — la segmentation est telle qu’on vend presque aujourd’hui des verres spécifiquement pour « vin rouge corsé du Nouveau Monde à base de cabernet-sauvignon moyennement boisé »…
Puis je vois les Exquisit du verrier « Stol-zé », ça doit se prononcer comme ça. J’aime leur forme, leur volume, j’en soupèse un, hmm, un peu lourd peut-être mais au moins comme ça, il ne sera pas trop cassant.
Il a une certaine surcharge pondérale, c’est vrai, mais rien à voir avec ces espèces de gros aquariums et de pots à fleurs qu’on nous propose parfois pour nous en mettre plein la vue.
Mainteant, la rangée d’Expert Tasting, à côté dans l’armoire, fait un peu pic-pic. Et que dire l’Inao ! Quel minus !
La seule chose qui me taraude, bien que je sois évidemment content d’avoir évolué, c’est : qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ? Toujours plus gros, toujours plus haut ?
L’avenir le dira !
P.-S. Je n’ai pas ici parlé de l’autre référence, cet excellent verre avec lequel on déguste aujourd’hui tant le blanc que le rouge et le rosé et même le mousseux, parfois : l’Ouverture du fabricant Riedel, et plus précisément l’Ouverture à vin rouge.
~
À boire, aubergiste !
Voici mes suggestions de la semaine. Que vous boirez dans le type de verre que vous voulez, sauf que… s’il fait beau et pas mal chaud, mieux vaut opter pour un plus petit contenant, pour ne pas qu’une trop grande quantité de vin réchauffe trop vite. Le contexte, mon vieux, le contexte…
Le Pive Gris Rosé 2014 : Savoureux rosé du sud de la France, très pâle mais goûteux, avec de l’éclat et même un peu de gras, de texture. Bio, par-dessus le marché.
Saumur blanc Domaine Langlois-Chateau 2014 : Très bon blanc de la Loire à base de chenin blanc, à la fois vif et savoureux, marqué par des notes miellées ainsi qu’une odeur rappelant la résine de conifère.
Chardonnay Felino Vina Cobos Mendoza 2014 : Un restant de gaz carbonique avive dans ce blanc argentin des saveurs par ailleurs mûres, à la fois citronnées et vanillées. De la générosité (14,5 % d’alcool) ainsi qu’une certaine fraîcheur.
Rosé Le Grand Cros « L’Esprit de Provence » 2014 : Un rosé de Provence étonnamment puissant, corsé c’est dire, avec une belle richesse. L’équilibre est préservé parce que l’acidité est là, et qu’il n’y a pratiquement pas de sucre résiduel.
Pinot noir Pepik Josef Chromy Tasmanie 2013 : Un bon pinot noir du sud de l’Australie, de la Tasmanie en fait, au nez fumé, de rhubarbe et de mûre aussi. En bouche, l’ensemble est encore bien tendu, légèrement tannique.
Passo Doble Malbec-Corvina Masi Tupungato 2013 : Mariage réussi entre l’Argentine (le malbec) et la Vénétie (la corvina). Une certaine complexité au nez, des notes d’herbes amères et de griotte, notamment. En bouche la fraîcheur est là, sur fond agréablement tannique et astringent.
Alma Negra 2013 : Un assemblage de malbec (85 %) et de bonarda (15 %) et une coentreprise dans laquelle est notamment engagée la famille Catena. Résultat : un vin corsé, avec du coffre, passablement boisé mais aussi bien pourvu en fruit et en acidité.
Santé !
Marc
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