Pangée, monolithe et Man at Work
Soif d’ailleurs avec Nadia
J’avais envie de vous entretenir de l’Australie depuis quelques semaines – depuis le retour du Vancouver Wine Festival, en fait –, mais je cherchais encore l’angle idéal pour aborder un sujet si vaste. Finalement, l’idée m’est venue en entendant le nom le nouveau projet de Guy Laliberté: Pangéa.
En grec, Pangée signifie « toutes les terres » et désigne le super-continent qui abritait la totalité des surfaces immergées de la Terre, il y a 225 millions d’années, avant la dérive des continents.
« Qu’est ce que Pangée a à voir avec l’Australie ? », me direz-vous. Rien, vraiment. Sinon une impression que, même aujourd’hui, le pays encore est trop souvent abordé d’un seul bloc, un immense monolithe qui couvre trois fuseaux horaires et un peu plus de 30 parallèles.
Vrai, l’Australie produit encore des gros shiraz qui tachent, des vins blancs boisés et des cabernets qui sentent le menthol, mais limiter le pays à cela serait presque aussi réducteur que d’affirmer que le Canada ne produit que du vin de glace.
C’est loin, les années 1980
Pour nombre d’amateurs canadiens, l’Australie fut la découverte des années 1980. En tête du palmarès, une poignée de chardonnays qui ont connu un succès sensationnel au Québec. C’était l’époque de Mad Max et de Crocodile Dundee, Down Under de Man at Work jouait à la radio. Bref, les années 1980.
Le monde a évolué depuis, l’Australie aussi…
Il y a une dizaine d’années, conscients des que les pratiques de prix planchers – sur le marché britannique, surtout – étaient vouées à un échec, Wine Australia a complètement repensé ses communications. Fini l’image des vins bas de gamme et « sucraillons » avec les étiquettes de kangourous, de wallabies et autres clichés australiens. L’heure est au régionalisme. Les vignerons locaux savent qu’ils ont, eux aussi, de grands terroirs. Ne leur reste qu’à le prouver au reste monde.
Rencontré à Vancouver il y a un peu plus d’un mois, Chris Hatcher, vinificateur en chef chez Wolf Blass expliquait que les changements avaient été motivés par les marchés d’exportations, du Royaume-Uni surtout. « Avant, on faisait des vins épais, denses, concentrés et presque indigestes, pensant que c’était de grands vins. Un jour, nos clients étrangers ont menacé de nous tourner le dos. Ils voulaient moins de bois, plus de fraîcheur. On a écouté. »
Et fraîcheur il y a. Dans les blancs, comme dans les rouges.
À ma grande surprise, l’un de mes vins blancs favoris de cette 37e édition du Vancouver International Wine Festival, dont l’Australie était le pays vedette, fut le Chardonnay 2012 White Label (40 $ au LCBO) de Wolf Blass. Un blanc d’envergure qui tiendrait aisément la comparaison avec ceux d’appellations prestigieuses de la Côte de Beaune. Une surprise pour moi car, comme nombre d’amateurs de vin de ma génération, le nom Wolf Blass évoque davantage les souvenirs d’un vin rouge vaguement doucereux que ceux d’un blanc gras, tendu, minéral. Comme quoi, les idées reçues…
Même le Chardonnay 2012 Gold Label Adelaide Hills (25,25 $) m’a étonnée de la façon la plus positive qui soit. Certes boisé, mais pas du tout caricatural. Heureux mariage de vigueur et de vinosité, et un très bon rapport qualité-prix.
Dans la même veine, le Chardonnay 2012 Yarra Valley de Coldstream Hills (29,20 $) se distingue par sa texture nourrie et ses saveurs franches de poire et de fleurs blanches. Fondée en 1985 par le critique de vin australien James Halliday, ce domaine niché dans les collines de Yarra Valley, au nord-est de Melbourne, fait maintenant partie du groupe Treasury Wine Estate.
Au sud d’Adélaïde, Chester Osborn (D’Arenberg) est surtout reconnu pour ses vins rouges musclés et chaleureux, mais il produit aussi de bons vins blancs. The Olive Grove 2012, Chardonnay, McLaren Vale (19,95 $) n’a rien d’innovateur, mais il a le mérite d’être sec et d’avoir un bon équilibre entre le gras et l’acidité, le bois et le fruit.
Toujours chez d’Arenberg, le The Money Spider 2012 (21,60 $) est devenu l’un de mes incontournables en matière de vin blanc australien. 100 % roussanne, des saveurs très fruitées et florales nettes et franches et une allure quasi méditerranéenne. Composé de riesling, de sauvignon blanc, de roussanne et de marsanne, son Stump Jump blanc 2013 (17,35 $) est l’exemple même du bon vin d’apéritif. Idéal avec du crabe du Québec!
Enfin, dans l’ensemble du réseau, on trouve depuis quelques années le savoureux Viognier 2013 The Y Series (17,25 $) de la maison Yalumba, qui manifeste depuis longtemps un intérêt pour les cépages rhodaniens et qui semble être devenu maître dans l’art de façonner de bons viogniers.
Autre héros méconnu du pays: le sémillon de la vallée de Hunter, comme celui de la maison Brokenwood. Un vin singulier, qui ne pèse guère plus de 11 % d’alcool et qui acquiert avec l’âge une vinosté et des arômes complexes, qui ne sont pas sans rappeler de vieux riesling et les vieux Rioja blancs de Lopez de Heredia. Unique et incontestablement australien.
Un coup de rouge ?
En rafale, et de régions très diverses, quelques uns des meilleurs Shiraz australiens goûtés au cours des dernières semaines.
Tout autour de la Baie de Port Phillip, l’État de Victoria produit de superbes vins de pinot noir dans les appellations de Geelong, Sunbury, Yarra et Mornington Peninsula, ainsi que dans les hauteurs des Macedon Ranges. En 1997, le Rhodanien Michel Chapoutier est parti à la découverte des terroirs australiens. En plus d’avoir lié des ententes avec des viticulteurs locaux pour former une entreprise de négoce et développé un vignoble en partenariat avec son importateur américain (Terlato), il a aussi créé son propre domaine, nommé en l’honneur de son port d’attache dans le Rhône. Son Shiraz 2012 Mathilda Victoria (22,90 $) est un bel exemple de shiraz moderne, élaboré avec le souci évident de plaire. Rassasiant, suffisamment équilibré pour être déjà apprécié maintenant et encore meilleur s’il est légèrement rafraîchi.
Région viticole historique, densément plantée et dotée d’une immense diversité géologique, McLaren Vale s’étend tout au sud de la ville d’Adelaïde. Parmi les quelques vins offerts à la SAQ, on voudra retenir le Stump Jump Rouge 2011 (17,35 $), de d’Arenberg, un cocktail de grenache, shiraz et mourvèdre.
Plus sérieux, le Eileen Hardy Shiraz 2005 est une référence de la région. Bon vin maintenant ouvert et à point, disponible en exclusivité dans les succursales Signature. Je m’en voudrais aussi de ne pas mentionner à nouveau le délicieux Yangarra Shiraz 2012 de Jackson Family Estate. À retenir au sein de l’élite régionale.
Dans un tout autre registre, le Shiraz 2012 Coonawarra de Wynns (22,50 $) est l’œuvre de Sue Hodder, l’une des œnologues les plus talentueuses et les plus respectées du pays. Très bon shiraz à la fois généreux, mais dont la puissance contenue distille un charme certain.
Illustre domaine installé dans les collines qui surplombent la capitale australienne, Canberra, Clonakilla fut la première winery du pays à reprendre la célèbre recette de la Côte-Rôtie: syrah et viognier (ici complantés et co-fermentés). Cher, mais dans une classe à part, le Shiraz-Viognier 2011, Canberra District (99,50 $) est simplement exquis! Je me souviens que lors de la dégustation, l’un de mes collègues a souligné la ressemblance avec les Côte-Rôtie d’un certain Jamet… Voilà qui en dit long.
Santé!
Nadia Fournier
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