Pets, vesses et autres impertinences

Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

J’ai un confrère qui n’aime pas le bois. Dès qu’il met le nez dans un verre et sent quelque chose qui évoque la barrique (la vanille, le fumé, le café torréfié), il fait la grimace. « Je déteste le bois… » C’est couru d’avance, dans ces cas-là : le vin en question va se faire écorcher et son score, s’en ressentir.

Quand même curieux puisque, perso, tout critique que je sois moi aussi par ailleurs, le bois, je puis vivre avec. C’est plutôt quand ça sent trop le pet que l’inconfort me guette. Le pet, oui. Prononcé « pette », à la québécoise, avec une intensité non contenue, et non « paix », comme nos amis français, qui ne manquent pourtant pas d’exubérance ni de véhémence, normalement.

Les vins « réduits » sont grevés par une telle odeur pouvant aussi évoquer l’écurie, le cheval en sueur. Une odeur, à sa décharge, qui finit souvent par se dissiper après une bonne aération.

Le confrère allergique au chêne ne déteste pas, lui, cette senteur… bien particulière. Justement parce qu’elle connote un certain type de vin, une philosophie, que, par définition, nonobstant la réalité objective, il aime bien.

Je pourrais bomber le torse en disant que c’est moi qui ai raison puisque, on s’entend, l’odeur de pet est plus largement reconnue comme déplaisante que celle de vanille ou de café frais.

Mais ce n’est pas mon genre. Et pas mon propos non plus, ici.

Affaire de générations, plutôt, comme le suggérait en substance ma consoeur Nadia, récemment. Les plus vieux auraient été habitués aux vins boisés, parfois lourdement, pour eux c’était et c’est encore souvent en quelque sorte la norme.

Touche pas à mon fruité !

Alors qu’aujourd’hui, à l’opposé, avec la mode des vins « nature » par exemple, tout ce qui se met en travers du fruit dans le vin, de l’odeur et du goût fruités, est sacrilège — et à rejeter du revers de la main. Ce que feraient allègrement bon nombre de jeunes nouveaux diplômés en sommellerie.

Cette vision des choses se défend. Moi le premier, j’ai grandi et fait mon apprentissage dans le vin en buvant de grands bordeaux des années 1980. Qui titraient à l’époque, pour mémoire, autour de 11,5 % d’alcool.

J’ai aussi pinté aux grands bourgognes de la même période. Enfin, « grands » n’est pas le bon mot puisqu’on se tapait alors pour l’essentiel des chambertins, des romanée-saint-vivant et des ruchottes-chambertin de négociants outrageusement minces et acidulés, tout à fait inintéressants. Mais on buvait des étiquettes alors on s’en foutait, et puis on se saoulait la gueule et donc c’était bien.

Fin de la parenthèse.

Avec mes bordeaux de la première heure, mes riojas et mes vieux garrafeiras portugais, j’aurais donc appris à affectionner le bois, comme aujourd’hui d’autres apprennent à l’abominer.

Bien entendu, la réalité est plus mouvante que cela. Je peux par exemple parfois m’accommoder de vins sérieusement déviants, les aimer au point de m’en resservir, tandis que mon collègue davantage non interventionniste ne dédaignera pas trinquer, à l’occasion, à un bon vieux grand cru classé bien boisé…

Comme quoi, encore une fois, tous les goûts et dégoûts sont dans la nature.

À boire, aubergiste !

Dans le camp des vins « boisés », appelons-les comme ça, j’ai récemment bien aimé :

Le Marques de Borba Reserva Alentejo 2011, rouge portugais puissant et profond et le savoureusement tannique Morellino di Scansano Terra di Talamo Tempo 2011, rouge toscan pour l’heure un peu fermé au nez et plus bavard en bouche. De Californie maintenant, le Qupé Syrah Central Coast 2012 est à la fois riche, généreux et doté d’une bonne fraîcheur. Toujours du Golden State, l’excellent Terre Rouge « Noir » Sierra Foothills 2010 n’est pas sans rappeler le châteauneuf-du-pape.

Marquês De Borba Reserva 2011 Terre Di Talamo Tempo Morellino Di Scansano 2011 Qupé Syrah 2012 Terre Rouge Sierra Foothills Noir 2010

En blanc cette fois, de Californie toujours, le Grgich Chardonnay Napa 2012 (prononcer Gueur-Gitche) assume très bien son côté boisé prononcé puisqu’il est par ailleurs nerveux (l’acidité) et assez profond.

Enfin, d’Australie, le Yangarra Shiraz McClaren Vale 2012 est très foncé, presque opaque, mais il n’a rien d’un mastodonte. Au contraire : le vin est puissant, certes, mais aussi tendu, d’une étonnante fraîcheur.

Grgich Hills Estate Chardonnay 2012 Yangarra Shiraz 2012 Louis Tête Morgon Les Charmes 2013 Domaine Michel Juillot Mercurey 2012

À présent, dans le cas des vins sinon pas boisés, du moins plus d’emblée axés sur le fruit — et souvent aussi sur la minéralité, résolument plus dans l’air du temps, j’ai retenu :

En rouge, le Morgon Les Charmes Louis Tête 2013, un très bon cru du Beaujolais, le Mercurey Michel Juillot 2012, un bourgogne rouge typé et énergique, harmonieux et d’une belle persistance, et le Cahors Les Laquets Cosse-Maisonneuve 2010 qui sent l’écurie sans que ce soit franchement « bretté » et bien tendu, par ailleurs.

Les Laquets Cahors 2010Domaine Gardiés Les Glaciaires 2013  Camin Larredya La Part Davant Jurançon Sec 2013 Stratus Riesling Moyer Rd Rr1 2013

En blanc, le Glaciaires Domaine Gardiès Côtes-du-Roussillon 2013 est réglissé et d’une belle pureté de fruit. Le Jurançon sec Camin Larredya 2013 est d’une rare élégance, en plus d’être vif et rafraîchissant.

Enfin, du Niagara, le Stratus Riesling RR1 Moyer Road 2013 est un modèle du genre, et il a des airs allemands avec son modeste 10,5 % d’alcool. Parfait pour l’apéro sur la terrasse, dès que les beaux jours s’installeront à demeure.

Bonne dégustation !

Marc

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