De la « salinité »
Soif d’ailleurs avec Nadia
par Nadia Fournier
La minéralité. La fameuse minéralité. Un mot maintenant largement utilisé par nombre de chroniqueurs-vins (dont je suis), mais qui ne fait toujours pas l’unanimité au sein de la profession. Pire encore, j’en viens parfois à me demander s’il est vraiment évocateur pour le lecteur. J’en tiens pour preuve une conversation récente avec un amateur chevronné qui a osé m’avouer, quelques verres aidant à faire tomber son inhibition, qu’il n’avait jamais vraiment trop saisi ce concept de minéralité.
Oui mais les cailloux, c’est dur sur les dents
Certains dégustateurs vous diront que la minéralité se perçoit au nez. D’autres qu’elle ne se mesure qu’en bouche, qu’elle est liée à l’acidité ou à l’amertume, qu’elle rappelle l’odeur de la pierre à fusil, le goût d’un caillou, etc. « Oui, mais encore faut-il en avoir déjà goûté, des cailloux », me direz-vous. Bon point.
Et si, plutôt que de parler de minéralité, on parlait de salinité? Tout le monde connait le sel après tout.
La bouche humaine compte environ 100 000 cellules sensorielles qui sont particulièrement sensibles à quatre goûts : le sucré, l’amer, l’acide et le salé. Tous les acteurs de l’industrie viticole s’entendent pour dire que les trois premiers éléments font partie intégrante du goût du vin.
En revanche, l’idée de « salé » dans le vin a longtemps divisé la communauté professionnelle. Avec raison puisque la saveur salée est quasi inexistante dans le vin. Cependant, la présence de certains sels minéraux laisse en bouche une sensation salée, qu’on pourrait définir comme la « salinité ».
Dans un article paru il y a deux ans dans la Revue des œnologues, on apprend que des chercheurs ont notamment démontré que la teneur en magnésium, en calcium (sous la forme de chlorure de magnésium ou de calcium) ou encore en potassium, a souvent un effet sur la perception sensorielle d’un vin, tout comme pour les eaux minérales ou pour les whiskys écossais, par exemple.
Un peu de pratique maintenant
« Practice makes perfect », comme disent les Anglais. Et comme dans le monde du vin, la pratique n’a souvent rien d’un fardeau – enfin, presque – voici une série de vins qui pourront certainement vous aider à mieux saisir le concept de la salinité.
Barmès Buecher Riesling 2012 Herrenweg Alsace
Les dignes successeurs de François Barmès signent un riesling savoureux, au nez de fleurs et de fruits tropicaux. Une minéralité sous-jacente et des notes salines sont accentuées par un reste de gaz carbonique.
Éric Louis Sancerre 2012
Bon sancerre parfumé, relevé de notes d’agrumes, plus complexe en bouche qu’au nez, mais qui termine sur une note saline qui appelle la soif. À boire au cours des trois prochaines années.
Guigal Saint-Joseph blanc 2012
Particulièrement nourri et complet cette année, ce saint-joseph blanc offre une agréable vinosité, de l’envergure aromatique et une bonne tenue en bouche. À boire sans se presser jusqu’en 2020.
Umani Ronchi Casal di Serra 2011 Verdicchio dei Castelli di Jesi
L’entreprise de la famille Bernetti est une dynamo pour la viticulture des Marches. En plus de vins rouges robustes, comparables à bien des supertoscans, Umani Ronchi doit sa renommée à ses cuvées de verdicchio, produites à la Villa Bianchi, dans la province d’Ancône.
Mastroberardino Lacryma Christi del Vesuvio 2013
Les tonalités minérales – ou salines, c’est selon – sont peut-être attribuables aux sols volcaniques de Campanie, dans lesquels le cépage coda di volpe plonge ses racines dans depuis près de cinq siècles.
Velenosi, Verdicchio dei Castelli di Jesi 2013
Le verdicchio apporte à ce bon vin blanc tout-aller un supplément de caractère. Rien de complexe, mais hautement désaltérant, il affiche la salinité propre à ce cépage.
Panizzi, Vernaccia di San Gimignano 2013
On a longtemps répété que la vernaccia ne pouvait donner des vins blancs complexes. Or, lorsqu’elle plonge ses racines dans les sols de grès de San Gimignano – célèbre pour ses hautes tours et inscrit au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO depuis 1990 – et qu’elle est cultivée et vinifiée avec soin, cette variété indigène de Toscane peut donner d’excellents vins.
Rodriguez, Telmo; Godello 2013, Gaba do Xil, Valdeorras
Sur l’appellation Valdeorras, dans la partie sud-est de la Galice, non loin de Bierzo, l’œnologue Telmo Rodriguez élabore ce vin blanc absolument délicieux, issu de godello. Étonnamment racé pour un vin à moins de 20 $.
Pazo de Señorans, Albariño 2013, Rias Baixas
Afin d’augmenter le pH des sols de leurs vignobles, certains producteurs de Rias-Baixas ont pris l’habitude d’y ajouter des coquilles d’huîtres, de palourdes ou de moules, une ressource abondante dans cette région côtière qui abrite le plus grand port de pêche d’Europe. Le domaine Pazo de Señorans est une référence à Rias Baixas, à juste titre. À découvrir, si ce n’est déjà fait !
Thalassitis, Santorini 2013
Du plus modeste au plus achevé, tous les vins blancs de l’île grecque de Santorin disponibles à la SAQ ont en commun cette franche minéralité, qui laisse une impression presque saline en bouche. Celui de Yiannis Paraskevopoulos (aussi propriétaire du domaine Gaia, dans le Péloponnèse) est le vin idéal à servir avec des huîtres bien iodées.
Tselepos, Moschofilero 2013, Mantinia
Plus que tout autre producteur, Yannis Tselepos a contribué à l’essor et à la mise en valeur du cépage moschofilero, qui constitue l’essence de l’appellation Mantinia, au cœur du Péloponnèse. À l’aveugle, ce vin pourrait aisément passer pour un muscat, puisqu’il déploie les mêmes parfums de fleurs et d’épices douces.
Klein Constantia, Sauvignon blanc 2013, Constantia
En plus d’un succulent vin liquoreux, ce domaine élabore un sauvignon blanc sec, vif et croquant. C’est avec ce genre de vin francs et désaltérants que l’Afrique du Sud parviendra à s’imposer sur la planète sauvignon.
Santé et bonne année !
Nadia
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