Les bons choix de Marc – Décembre
Pas de trouble !
par Marc Chapleau
Je vous recommande plus loin des mousseux et des champagnes de circonstance, en cette saison, mais j’aimerais d’abord parler d’elle.
Elle, cette sommelière émérite qui a eu récemment pas mal de cran, j’ai trouvé.
Comme ça, au beau milieu d’une dégustation réunissant cinq ou six chroniqueurs ainsi qu’un producteur, ma consoeur a en effet levé l’index en haussant les sourcils, pour exprimer sa dissension : « Je suis désolée, mais j’ai un problème avec les vins troubles comme celui qu’on vient de nous servir… Pour moi, un bon vin se doit aussi d’être limpide, à la base. »
Nous venions de goûter une série de vins pour ainsi dire courants, très bien faits, vifs et savoureux, quand le vigneron de passage nous fit découvrir quelques cuvées produites à beaucoup plus petite échelle, sur le mode « vin naturel ». Très peu manipulés, c’est notamment dire, et à la couleur de fait un peu diffuse, pas vraiment transparente.
Ces vins élaborés en quantités confidentielles étaient surprenants. Ils n’arboraient certes pas les canons habituels de la beauté viticole, mais ils n’en étaient pas moins très bons et même racés, pour certains.
Mais je comprenais quand même très bien l’inconfort, la réticence de mon amie sommelière.
Comme si le caractère limpide du vin allait de soi, et qu’on devait partir de là avant de juger ensuite de la qualité des odeurs et des saveurs, ainsi que de l’équilibre d’ensemble.
Loyal et marchand ?
Comme si ce trouble perçu dans notre verre de vin « nature » cachait quelque chose, comme s’il empêchait ce dernier d’être de « qualité loyale et marchande », comme le disait jadis l’expression de droit commercial.
Cela dit, je n’ai pas été longtemps béat devant l’aplomb de ma voisine de table.
Car la réplique d’un autre collègue à l’esprit vif a aussitôt fusé : « C’est parce que tu as été conditionnée, comme nous tous. Les vins, autrefois, n’étaient pas clairs et brillants comme ils le sont aujourd’hui. »
On aurait donc désappris à aimer le côté « imparfait » du vin, son caractère parfois peut-être un peu bourru, sur tous les plans, mais ô combien « naturel ».
Hum… Voilà un argument qui porte, lui aussi. Me voilà donc ambivalent, depuis cet épisode, à mon corps défendant.
Or donc, voici où nous en sommes : la couleur du vin, sa limpidité, importe-t-elle, oui ou non ?
Tout dépend, oserai-je dire, du type de vin en question. Un vin « nature » du Jura un peu trouble ne détonne pas tant que ça. Tandis qu’un griotte-chambertin bien reposé et bien carafé aux contours pourtant flous et à la robe imprécise… moins certain.
La beauté, serais-je tenté de conclure, est dans l’oeil de celui qui regarde.
Qu’en dites-vous ?
À boire, aubergiste !
Il s’agit maintenant de vous aiguiller vers de bonnes bouteilles qui ne vous désarçonneront pas trop — par leur couleur, leurs odeurs ou leur goût. Je devrais donc jouer de prudence, et ne recommander que des valeurs sûres.
Hélas, impossible. Au sens où aucun vin ne plaît à tout le monde sans exception, il s’en trouve toujours un ou une comique pour dire tout haut « Non, désolé, j’ai essayé mais ce n’est pas vraiment ma tasse de thé… »
Ça me choque ? Au contraire ! C’est bien connu : pour faire son chemin dans le vin, il faut absolument écouter sa voix intérieure et dire tout haut ce qu’on pense pas nécessairement tout bas — comme ma consoeur, tout à l’heure, devant son verre à la couleur trouble.
Et puisqu’on est au début décembre et que vous savez quoi va nous arriver dessus à la vitesse grand V… place aux mousseux.
D’abord quatre quasi-champagnes, dans la mesure où sans atteindre les sommets de finesse qu’on arrive à produire autour de Reims et Épernay, ces mousseux élaborés ailleurs en Europe et dans le monde s’en approchent, pour une fraction du prix.
Pour peu que l’atmosphère soit festive – ou si le party est pris solide, comme on dit –, inutile de sortir l’artillerie lourde (et chère), rabattez-vous sur ces substituts d’excellente qualité.
À retenir, enfin : on ne se trompe pour ainsi dire jamais, si l’on donne en cadeau un champagne. Même l’amateur de vin le plus difficile se réjouira et acceptera avec le sourire. Parole !
À bon prix
Hors Champagne, et à prix plus raisonnable (23,40 $), on trouve par exemple du Luxembourg le Crémant Poll-Fabaire Brut, étonnamment fin et bien nerveux. De Bourgogne cette fois, autre beau crémant que ce Bailly-Lapierre Vive la Joie, au nom ô combien quétaine mais par ailleurs vif et profond.
Plus miellé, plus épicé également, le Crémant de Loire Cuvée Flamme Gratien & Meyer est à nouveau très recommandable cette année.
Enfin, on descend vers le sud et l’appellation crémant-du-limoux (dans le Languedoc) avec l’excellent Laurens Clos des Demoiselles Tête de Cuvée 2011, qui combine pour ainsi dire les attributs des précédents avec un assemblage à 60 % de chardonnay, auquel s’ajoute notamment 15 % de chenin blanc.
Le grand jeu
Du côté des champagnes, un rosé pour commencer – un type de vin que je trouve pourtant d’ordinaire trop cher, eu égard à la qualité. Sauf que ce Alain Thiénot Brut Rosé vaut les 69 $ qu’on en exige !
En blanc de blancs, le Pascal Doquet Horizon, à 48,50 $, est à la fois fin, épicé et floral, tout en délicatesse.
Également fin et au caractère dépouillé, subtil, le Devaux Blanc de Noirs Brut, à 50 $ – celui-ci, au contraire du précédent, est fait uniquement à partir de raisins « noirs », c’est-à-dire rouges… désolé pour la confusion, on est comme ça, dans le monde du vin. (On dit aussi « vin blanc » alors qu’en réalité on se frotte plutôt à diverses nuances de jaune.)
Je triche avec ma dernière suggestion. Enfin non, sortir cette bouteille équivaudra à jouer le grand jeu, sauf que le vin ne vient pas de Champagne ni même de France. Il est de Californie, imaginez. Et excellent, vif et riche tout à la fois, avec des notes délicatement briochées. Masquez cette bouteille de Roederer Estate L’Ermitage Brut 2005 (55 $), et annoncez à la ronde un très bon champagne.
Ils n’y verront que du feu !
Santé !
Marc
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