C’était un jour feuille…
Soif d’ailleurs avec Nadia
par Nadia Founier
C’est maintenant un fait reconnu par la plupart des dégustateurs professionnels : les conditions atmosphériques ont un impact sur le goût du vin. En fait, on croit que ce serait plutôt la lune qui exercerait un effet sur le vin. L’idée est à ce point répandue que certains marchands d’Angleterre – un pays reconnu pour ses dégustateurs sérieux – ne font désormais goûter leurs vins qu’en des « jours fruits ». On les comprend : lors d’une telle journée, les vins afficheront généralement un caractère fruité plus expressif et seront plus séduisants. À l’inverse, il y a de fortes chances que les saveurs soient plus ternes, moins volubiles lors d’un « jour feuille », ou d’un « jour racine ».
D’abord utilisé par les vignerons adeptes de la biodynamie, le calendrier des semis, développé dans les années 1960 par l’Allemande Maria Thun, fait une distinction entre quatre types de journées : fruit, fleur, feuille et racine. Selon ce calendrier, certains jours seraient plus propices à la plantation, d’autres à la taille de la vigne, d’autres à la vendange. Dans le chai, mêmes constatations : certaines journées seront plus favorables pour un soutirage, pour une filtration ou pour une mise en bouteille. Partant de ce principe, il parait donc tout naturel que l’impact se mesure aussi sur le produit fini, non?
Plus qu’une simple vue de l’esprit, cette tendance se vérifie aisément si on s’exerce à une dégustation comparative sur le même vin, mais lors de deux journées lunaires distinctes. J’en ai moi-même fait l’expérience une fois de plus il y a deux semaines, alors que mes collègues et moi étions conviés à la dégustation du présent Cellier. C’était une journée feuille et c’était surtout une bien triste journée pour déguster. La plupart des vins manquaient d’éclat, de vie et offraient peu de plaisir olfactif.
À vrai dire, si ce n’était que j’avais déjà eu l’occasion de goûter plusieurs de ces vins au cours des derniers mois, lors de la rédaction du Guide du vin 2015, il est fort probable que je leur aurais attribué, à tort, une mauvaise note. Comme quoi, la dégustation est loin d’être une science exacte, tout comme le vin n’est pas un produit immuable.
La Bourgogne à l’honneur
Parmi les produits mis en vente jeudi dernier, l’une des belles surprises est venue de cet excellent Mercurey blanc Premier cru Les Veleys 2012 qui marque une première pour Francois Raquillet à la SAQ. Un vigneron soucieux de faire parler le terroir et qu’il faudra surveiller de près au cours des prochaines années.
J’ai aussi été très heureuse de redécouvrir le Bourgogne Chardonnay Signature 2010 de Champy qui m’a paru nettement plus harmonieux que par le passé. Moins de bois neuf, mais plus de fraîcheur et de typicité. Bravo!
Sur un mode plus vif, le Chablis 2013 de Séguinot-Bordet mérite aussi une bonne note pour sa vivacité et son bon goût de menthe fraîche.
Dans la même région, mais en dehors de la zone de Chablis, le secteur de Vézelay peut aussi donner de très bons vins de chardonnay, marqués par la même tension minérale que son illustre voisin. La cuvée Voluptueuse 2011 de Domaine La Croix Montjoie en est un bel exemple.
En matière de vin rouge, il faudra aussi porter une attention particulière au Côte-de-Nuits-Villages 2012 de Remoissenet. Étonnamment fruité si on le compare à la plupart des autres vins dégustés cette journée-là et d’une tenue en bouche appréciable. Amateurs de bourgognes classiques, vous adorerez les 2012 !
Plus robuste, le Beaune Lulunne de Génot-Boulanger est une autre preuve – s’il en fallait une – de la grande qualité du millésime 2010 en Bourgogne. Une concentration surprenante pour un vin d’appellation communale et un vin à laisser reposer en cave encore quelques années.
Issu d’un millésime nettement plus compliqué, ingrat même diront certains, le Chorey-lès-Beaune 2011 de Françoise André est loin d’être dépourvu d’intérêt. Une interprétation un peu plus dépouillée du terroir de Chorey, qu’on pourra apprécier dès maintenant et d’ici 2018.
Bien qu’un peu austère il y a deux semaines, le Mercurey 2011 Vieilles vignes du Domaine Brintet faisait aussi preuve d’une bonne tenue en bouche, à défaut de fruit.
Quelque 9000 kilomètres à l’ouest…
La quête de climats frais – mieux adaptés à la culture du cépage pinot noir – a conduit la famille Jackson, propriétaire de La Crema, jusqu’en Oregon. Ce nouvel arrivé à la SAQ est pour moi une heureuse surprise. Rien d’excessif et exempt de cette détestable texture crémeuse et doucereuse qu’affichent tant de pinots d’Oregon. Le Pinot noir 2012 Willamette Valley a revanche une texture ample, manifestement issue de fruits parfaitement mûrs. Un « crowd pleaser », comme disent nos voisins du sud. Un bon vin de plaisir, à la fois nourri et harmonieux, et qui saura plaire à un large public.
Stylistiquement à des lieues du pinot noir par sa générosité proverbiale et sa présence en bouche souvent capiteuse, le cépage zinfandel peut aussi donner des vins très harmonieux et aptes à la garde. On n’a qu’à penser aux vins de Sky ou de Joseph Swan, aux légendaires Lytton Springs et Geyserville de Ridge Vineyard ou encore aux vins de la famille Seghesio, qui s’inscrivent aussi parmi les beaux spécimens disponibles à la SAQ. Produit dans la vaste région côtière de Sonoma, le Zinfandel 2012 est le fruit d’un assemblage de raisins d’Alexander Valley et de Dry Creek Valley, où on obtient, grâce à une viticulture soignée et à des rendements limités, un vin à la fois juteux, gorgé de fruit, structuré et parfaitement digeste. Un régal!
Enfin, le clou de la dégustation était à mon avis l’excellent Crémant du Jura du Domaine Baud. Dégusté à l’aveugle, au milieu de champagnes et autres vins effervescents, c’est celui qui, indépendamment du prix, offrait le plus de plaisir aux papilles. Fin, singulier et distingué. Tout ça à 20 $ !
À votre santé!
Nadia Fournier
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