Soif d’ailleurs avec Nadia
Le second souffle
par Nadia Founier
La rédaction d’un guide annuel sur le vin est une sorte de marathon. On voit défiler les bouteilles comme le coureur de fond enchaîne les kilomètres. Un à la suite de l’autre, parfois dans la monotonie, parfois même dans la douleur. Ne riez pas, c’est vrai ! Pensez aux aphtes et aux ulcères, pour cause de surdose d’acidité, qui sont au dégustateur de vin ce que les crampes et les blessures musculaires sont au marathonien.
Mais bon, trêve de doléances. Je sais qu’on n’a pas le droit de se plaindre, quand on a la chance d’exercer un métier aussi fascinant. Et puis, heureusement, il nous arrive aussi d’avoir droit à un second souffle…
Il y a deux semaines, j’étais dans l’Espagne. Pas en Espagne, c’eût été trop agréable. J’étais plutôt dans le calme de ma campagne, plongée dans la section « Espagne » du Guide du vin 2015. Pendant des heures et des heures, j’ai vu se succéder des vins banals. Pas mauvais, juste anonymes et interchangeables. Tantôt des petits rouges à saveur commerciale (souples, fruités, plus ou moins assaisonnés de copeaux de bois); tantôt des grosses bombes fruitées et sucrées, chargées d’alcool et de goûts torréfiés qui leur donnent des airs de Coffee Crisp. Puis, est arrivé ce second souffle, enfin !
Venu de l’autre côté de l’Atlantique, ce souffle avait l’allure d’une bruine de bord de mer qui vous rafraîchit par une journée de canicule. Cette bruine, c’était Rueda. Une appellation de la région de Castille et Léon, surtout connue pour ses vins blancs légers, désaltérants et assez modestes, dans l’ensemble. Pourtant, cette journée-là, tous les grands crus du monde n’auraient pas autant fait mon bonheur !
Comme quoi, dans le vin comme dans la vie, tout est une question de contexte. Parlez-en aux politiciens mal cités !
Les vins portant la mention « Rueda Verdejo » en contre-étiquette sont issus à 100 % de verdejo. Ceux commercialisés sous la simple appellation « Rueda » peuvent être issu d’un assemblage de verdejo, avec de la viura ou du sauvignon blanc.
Les propriétaires de Juan Gil – un domaine phare de l’appellation Jumilla, à 90 kilomètres de la ville d’Alicante –, se sont aventurés à Rueda, où ils élaborent l’excellent Shaya 2013. Même si l’étiquette officielle de l’appellation n’en fait pas mention, le vin est issu à 100 % de verdejo, dont quelques vignes centenaires.
La famille Buil (Priorat) a elle aussi exporté son savoir-faire jusqu’en Castille et Léon, où elle produit un très bon vin blanc de l’appellation Rueda. Au moment d’écrire ces lignes, on pouvait encore trouver quelques bouteilles du 2012 en succursales. Le Nosis 2013 prendra le relais d’ici quelques semaines.
Telmo Rodriguez a sillonné l’Espagne du nord au sud à la recherche de vieilles parcelles de vignes, souvent menacées d’arrachage. Son activité s’étend aujourd’hui depuis la Rioja, jusqu’à la région de Malaga, en Andalousie. La rumeur veut que le célèbre œnologue tourne l’attention médiatique sur une région viticole, dès qu’il y implante un projet. On comprend assez vite pourquoi en goûtant ces vins rouges musclés et, dans une moindre mesure, le très bon Basa 2013, produit dans la région de Rueda.
Dans le secteur très prisé de La Seca, Bodegas Naia mise, entre autres, sur de très vieilles vignes de verdejo, plantées au 19e siècle et ayant survécu au phylloxéra, dont elle tire un Rueda hors norme, fermenté et élevé en fûts de chêne. Bien qu’il me semble un peu moins distinctif que le 2008 dégusté l’année dernière, le Naiades 2010 impressionne par sa richesse et sa vinosité.
Plus modeste, mais aussi plus typé, le Rueda Verdejo 2011 a tout pour plaire. Le 2013 qui prendra le relais au début du mois d’octobre est tout aussi digeste et savoureux. En attendant son arrivée en succursales, on pourra se consoler avec le Las Brisas 2012, plus aromatique, grâce à l’apport du sauvignon blanc, mais surtout friand et facile à boire. Ou encore avec celui des frères (Hermanos) Lurton, très sec et issu de verdejo à 100 %.
Et parce que l’Espagne produit quand même une foule de bons vins rouges gorgés de soleil, vous voudrez aussi goûter cet excellent vin de Navarre : Artazuri Garnacha 2013; hypergourmand et sans la moindre lourdeur. Une véritable aubaine !
Pour quelques dollars de plus, El Castro de Valtuille Joven 2011 est un exemple très révélateur de l’immense potentiel de Bierzo, une autre appellation de Castille et Léon à classer parmi les étoiles montantes du firmament ibérique.
Enfin, le tour du pays ne serait pas complet sans un petit détour par la Catalogne. Sur les coteaux vertigineux du Priorat, Mireilla Torres, la fille de Miguel, façonne cette cuvée exclusive au marché québécois. Fruit d’un assemblage de carignan et de grenache, le Laudis 2011 est, en quelque sorte, le petit frère du Salmos et du Perpetual.
Salud !
Nadia Fournier
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