Les bons choix de Marc – Septembre
Allez hop ! dans l’évier
par Marc Chapleau
Et moi qui viens tout juste d’en parler ! Du fait qu’on s’identifie étroitement à nos bouteilles, et qu’on voudrait tellement qu’elles soient toujours bonnes et irréprochables. Surtout quand on les apporte à une dégustation et qu’on les partage…
Eh bien j’ai été servi. Malgré le titre de la présente chronique, je n’ai tout dernièrement pas fait le bon choix… Enfin, disons que j’ai eu l’air d’une sorte de cordonnier mal chaussé, samedi dernier. Après m’être étendu en long et en large sur la sensibilité et la susceptibilité de l’amateur, j’ai en effet royalement payé la traite à un vieux couple d’amis un peu perdu de vue et venu passer la fin de semaine avec nous.
Inès et Perry (pour ne pas les embarrasser, j’utilise des noms fictifs) ne sont pas maniaques de vin, bien qu’ils aiment ça beaucoup et soient très curieux. Ils avaient apporté une super-bouteille avec eux pour accompagner le barbecue : Château Margaux 1978. Le premier grand cru classé de Bordeaux, dont on trouve du 1999 à la SAQ — pff, c’est jeune comme millésime — pour la modique somme de 1 035 $. Mille trente-cinq, oui monsieur.
— J’ai reçu ça récemment en héritage d’un riche oncle dont je n’avais pas entendu parler depuis je ne sais plus combien d’années, m’explique Perry en déposant la bouteille sur le comptoir sitôt le pied dans la maison.
— Wow, ai-je répondu, et wow, ai-je ensuite répété malgré que j’étais bouche bée et donc sans voix.
— On s’était dit Inès et moi qu’on allait la boire avec toi…
Il était genre cinq heures de l’après-midi, l’heure de l’apéro, lequel s’est avéré être un champagne Égly-Ouriet Grand Cru Brut, rien pour tomber en bas de sa chaise mais tout de même, vu le canon avec lequel ils avaient débarqué, il fallait que je sorte autre chose qu’un banal Brut sans année de grand négociant.
Puis arriva, vers 18 heures, le grand moment. Comme le bordeaux avait plus de 35 ans et qu’il restait d’être relativement évanescent, je suggérai de ne pas le carafer, certes, mais d’en prélever tout de même l’équivalent d’un dé à coudre, « enfin, un peu plus, dis-je, mais à peine, juste pour voir, des fois qu’il serait fermé, ou dans une phase muette, c’est rare après tout ce temps, mais ça arrive ! »
One, two, three… tasting !
C’est évidemment à moi que revient l’honneur de tester messire Margaux 1978.
De fait, ça ne sent pas grand-chose et la couleur, qui a viré au rouge très orangé, est encore belle et plutôt conforme à ce à quoi l’on s’attend d’un vin de cet âge. Apparemment, il manquait juste d’air, après tant d’années passées enfermé dans le verre.
Sauf que… j’ai aussi eu comme l’impression de sentir le carton, un peu.
« Oh non, me suis-je alors lamenté in petto… »
Je n’ai pas porté le vin à ma bouche – ce qui m’aurait pourtant permis de confirmer ou non le caractère bouchonné. J’ai seulement dit qu’il n’était pas bavard, le bougre, et qu’on allait le laisser respirer une heure ou deux, dans sa bouteille entamée.
À l’heure dite, je retourne au vin et, l’oxygénation aidant, tough luck, il est bouchonné et pas qu’un peu. Même pas besoin de goûter.
Gêné – même si ce n’était pas « mon » vin –, je fais la grimace et je dis aux amis que le vin est kaput, irrémédiablement perdu. Là-dessus, sachant qu’il ne pouvait être retourné pour échange vu l’oncle, vu l’héritage et l’achat dieu sait où, iglou-iglou-iglou, je le balance dans l’évier.
La face qu’ils ont faite…
Ils comprenaient, mais quand même, quel pétard mouillé ! Eux qui s’attendaient à un feu d’artifice et à des paillettes de bonheur dans mes yeux…
Bien sûr que le problème, c’était le liège, et que le vin était contaminé depuis la mise en bouteille.
Sauf qu’en y réfléchissant bien, avec le recul, je me dis qu’il n’était peut-être pas vraiment bouchonné, j’ai peut-être jugé trop vite et… je blague, les copains lisent ces lignes en même temps que vous, je le sais, et ils ont à l’instant manqué s’étouffer en m’entendant.
Hélas non, le vin était bel et bien perdu et les illusions, envolées.
Moralité ? Je n’ai, franchement, aucune idée de la leçon qu’il faut en tirer.
Sinon, peut-être, qu’un petit mensonge blanc, de temps en temps…
À boire, aubergiste !
Après cet impair – mais en était-ce vraiment un ? –, quelques bons choix à s’offrir ou à offrir, pour la fin de semaine.
Deux bons côtes-du-rhône pour commencer. D’abord celui, impeccable, de la maison Guigal Côtes-du-Rhône 2010, qui ne déçoit d’ailleurs à peu près jamais. Puis, autre valeur sûre et qui plus est, à petit prix, le La Montagnette 2013 de la petite mais hautement qualitative cave coopérative d’Estézargues.
Toujours en rouge, mais du Sud-Ouest cette fois, le Château Lamartine Cuvée Particulière 2011 est un très bon cahors, à la fois corsé et élégant, aux tannins plutôt mûrs. Également très recommandable, et plus tannique celui-ci, plus astringent, le San Felice Il Grigio 2010, un chianti classico par ailleurs bien concentré. Quant au Mas Amiel Notre Terre 2010, un côtes-du-roussillon-villages, on appréciera sa puissance, son caractère chaleureux, doublé d’une texture suave, relativement élégante.
En blanc maintenant, j’ai un joli mousseux dans ma besace cette semaine, le très hop-la-vie Bailly-Lapierre Vive la Joie 2008, un crémant de Bourgogne rafraîchissant tout en étant d’une étonnante profondeur.
Du côté des blancs tranquilles (sans effervescence), j’ai bien aimé le Gewurztraminer Hugel 2012, épicé et nerveux, et pratiquement sec.
Pour terminer, un rosé, primo parce que c’est techniquement encore l’été et, deuzio, parce qu’on peut très bien apprécier ce type de vin à l’année : le côtes-de-provence Château Vignelaure 2013, généreux et épicé, et pratiquement sec lui aussi.
Santé !
Marc
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