Ce bon vieux porto
Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau
« Les gens ont peur du porto… Pourtant, une bouteille de Vintage à quatre, ça se boit très bien au cours d’une soirée. »
Ainsi s’exprimait Rupert Symington, de la célèbre famille du même nom, alors que la soirée se prolongeait jeudi dernier à la Quinta do Bomfim, à Pinhao, en plein coeur du Douro. Le clan Symington, rappelons-le, possède des maisons prestigieuses comme Graham’s, Dow’s, Warre’s, Quinta do Vesuvio et Smith Woodhouse.
Nous parlions, lui et moi, de la baisse des ventes de portos au Québec – un marché qu’il connaît bien puisque c’est lui, dans le groupe, qui supervise les activités en Amérique du Nord. Après avoir atteint un sommet de popularité vers la fin des années 1990 (environ 230 000 caisses), les ventes du célèbre vin fortifié n’ont cessé de régresser, au point où on en est aujourd’hui à environ 95 000 caisses écoulées par année, tous types de portos confondus.
La vue depuis la Quinta de Roriz, dans le Douro, où sont notamment élaborés les vins du partenariat Prats & Symington, tel le fameux Chryseia.
« La demi-bouteille est peut-être la solution pour relancer l’intérêt, ai-je avancé. Moins chère, plus facile à écluser. » Rupert Symington de faire la moue : la 375 ml vieillit trop vite à son goût et quel est le problème avec la bouteille, de toute façon ! Et d’y aller ensuite avec l’affirmation placée en tête de cet article.
La star des années 1990
Sans trop qu’on sache pourquoi, le porto était en effet sur toutes les lèvres, il y a une quinzaine d’années. On disait même du Québec que c’était le marché le plus sophistiqué au monde pour ce type de vin.
Que s’est-il donc passé ?
Bien malin qui pourrait tout expliquer. Lentement mais sûrement, une sorte d’indifférence s’est installée. Même le gourou du porto, le chroniqueur de La Presse, Jacques Benoit, n’en parle aujourd’hui que de loin en loin.
Certains, j’en suis, croient que la sévérité des campagnes contre l’alcool au volant a tué l’engouement. Après le blanc à l’apéro et une couple de rouges à table, en mangeant, le porto, avec ses 20 % d’alcool par volume, donnait le coup de grâce…
Repenser notre approche
Tout n’est cependant pas perdu pour le vin issu d’une des plus vieilles régions viticoles du monde. À preuve, des jeunes – à commencer par mon propre fils – se passionnent pour le porto et ne le voient pas comme le diable en personne.
Qui a dit que le porto était un truc ringard, juste bon pour les vieux ? Julien Chapleau, 24 ans, digne fils de votre chroniqueur, trippe avec quelques copains à lui sur le porto au point où il s’est de son propre chef rendu dans le Douro, au début de juin. Son père, alerté, n’a bien sûr pas pu résister à aller le chaperonner jusque là-bas…
Chose certaine, le fils et moi avons bu du porto tous les jours durant une semaine, quand nous étions là-bas. Et pas un seul lendemain, malgré qu’on ait même éclusé un soir un 750 ml de Vintage à trois, nous sommes-nous levés avec un mal de cheveux. Malgré le sucre, malgré l’alcool !
Il faut dire qu’avant de faire sa fête à ce porto, nous n’avions bu à quatre personnes qu’un verre de blanc et une seule bouteille de vin rouge sec. Peu d’effet cumulatif, c’est dire, et des papilles bien alertes pour siroter le porto sur deux bonnes heures – en devisant, pas toujours paisiblement, sur la situation du commerce des vins et spiritueux au Québec…
Quelques bons choix
Du côté des portos de type Vintage, c’est-à-dire rouges, vieillis surtout en bouteilles et moins dans le bois (que les tawnys), on se régalera avec le
Graham’s Six Grapes Reserve le Dow’s LBV 2009 ainsi que le Taylor’s LBV 2008 celui-là plus puissant, moins sucré, davantage marqué par l’alcool.
Veut-on élever la barre et se frotter aux grands Vintage, on pourrait aller vers le superbe Fonseca Vintage 2000 d’une élégance rare et déjà très bon à boire. Également à considérer, encore meilleur m’a-t-il semblé, à la fois fin et puissant, le Croft Vintage 2003.
Du côté des tawnys, ces portos qui doivent à un long vieillissement dans le bois leur couleur roussâtre, tant le Taylor’s 20 ans que le Graham 20 ans méritent qu’on s’y attarde – le premier, dans le style préconisé par la maison, étant plus masculin, plus fougueux. Mais le Graham’s, attention, est délicieux !
Enfin, moins cher, moins suave peut-être un peu, le Graham’s 10 ans est par contre particulièrement réussi.
UNE AFFAIRE DE STYLE
Voici, en quelques mots, alors que nous attendions dans son hors-bord pour franchir une écluse sur le Douro, comment Rupert Symington décrit les styles de chacune des maisons que contrôle sa famille :
Graham’s : « Plus sucré, plus riche »
Dow’s : « Plus sec, plus svelte »
Quinta do Vesuvio : « Corsé, qui sent bon les bleuets et la garrigue »
Warre’s : « Floral, plus féminin, et plus léger que Dow’s et Graham’s »
Cockburn’s : « Plus sec lui aussi, et marqué par la cerise maraschino »
Smith Woodhouse : « Une sorte de baby Graham’s »
Gould Campbell (une marque) : «Pas très loin du Dow’s, comme style »
LE BON USAGE DU PORTO
Température de service : frais, toujours. Là-bas, les producteurs eux-mêmes aiment par exemple boire leurs tawnys directement sortis du frigo. On boira les type Vintage et LBV moins froids, mais après tout de même une bonne heure au réfrigérateur – surtout l’été, par temps chaud.
Bouteille entamée : les types Vintage (rouges) vont se garder quelques jours au frigo, tandis que les tawnys, surtout les « 10 ans » et les plus âgés encore, environ un mois – si on est bien sûr capable de se retenir tout ce temps.
Quel type de verre ? Trop petit, comme ces mini-verres INAO, on ne sent rien ; trop gros, l’alcool risque de monter au nez et le vin lui-même, de réchauffer trop vite. La solution : un verre du type Expert Tasting.
Santé !
Marc
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