Le monde du vin selon Nadia
Les cornichons
Comme nombre de jeunes Québécois une fois le cégep terminé, je suis partie avec mon sac à dos à la découverte de l’Europe. Je pensais y passer six mois, et de vignoble en vignoble, je me suis fait prendre au jeu. J’y suis restée près de deux ans.
À mon retour, j’avais 22 ans et je rêvais de la « grande Bourgogne ». Mais comme beaucoup de gens hélas, j’en parlais bien plus que j’avais l’occasion d’en boire.
Un jour, devinant mon intérêt pour le vin – j’en parlais sans cesse –, un collègue de la restauration m’a offert d’assister à une soirée de son club de dégustation. J’ai sauté sur l’occasion.
La thématique de la soirée portait sur la Bourgogne et le Jura. J’étais dans mon élément, tout allait bien, relativement bien. La gêne tombait peu à peu, mon syndrome de l’imposteur s’estompait. Puis, c’est arrivé…
L’un des derniers vins blancs de la soirée était un vin « naturel » du Jura issu de savagnin. Lorsque mon tour fut venu de prendre la parole, j’ai souligné la tenue en bouche et l’équilibre du vin, ajoutant que j’avais beaucoup aimé, même si a priori, j’avais été un peu déconcertée par son nez de cornichon à l’aneth.
Visiblement insulté, le propriétaire de ladite bouteille s’est lancé dans un discours aussi pompeux qu’interminable, au terme duquel j’avais perdu toute assurance. En résumé : j’aurais mieux fait de me taire. Peu lui importait que j’en aie vanté les nombreux mérites, que j’aie salué son équilibre et sa texture. En évoquant les cornichons à l’aneth, j’avais réduit son vin au statut de vinaigre…
À partir de cette soirée, j’ai commencé à me méfier de mes perceptions et cet épisode a continué de me hanter, même après plusieurs années à fréquenter le vin de façon professionnelle.
Puis, il y a deux ans, lors d’un séjour dans le Jura, j’ai eu la chance de rendre visite au vigneron-artiste qui était à l’origine de ce fameux vin. Incognito, jouant les touristes. Tout allait bien, merveilleusement bien, nous passions un agréable moment. Puis, c’est arrivé… Encore! Le nez dans le verre, j’ai redécouvert l’arôme du plus terrifiant des condiments.
J’étais encore à débattre en mon for intérieur quant à l’opportunité d’interroger ou non le vigneron à ce sujet, que je me suis entendu dire, du bout des lèvres, mais quand même.
– Au risque de vous offusquer ou de paraître ridicule, est-il possible que je retrouve dans ce vin des parfums de cornichon à l’aneth?
J’ai fermé les yeux et serré les dents en attendant sa réponse.
– C’est loin d’être ridicule, mademoiselle !
– Ah bon ?
– D’abord, les arômes d’aneth et de fenouil sont assez fréquents sur ce savagnin. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est souvent comme ça. Et puis, le vin doit bien contenir près d’un gramme d’acide acétique, ce qui explique la notion de vinaigre…
– Vous n’êtes pas fâché?
– Pas du tout. Est-ce que le vin vous plaît ?
– Absolument!
– Alors, c’est tout ce qui compte !
Voilà! Fin de la conversation. Neuf années d’incertitude balayées en deux minutes. Le savagnin, les cornichons et moi étions réconciliés. Enfin !
Si je vous raconte tout ça, c’est que je sais combien le monde du vin peut être intimidant. Surtout au début. Mais ce serait bien dommage de bouder son plaisir par peur du ridicule. Le vin ne devrait-il pas être une source de volupté et de découverte plutôt que d’angoisse ?
Certaines personnes de votre entourage donnent l’impression d’être plus calées que vous en matière de vin ? Et alors ?
Il y a une époque dans la vie de tout amateur de vin où l’on explore sans vraiment connaître. Et ce sont peut-être les moments les plus excitants. Ceux de l’éveil à des textures et à des saveurs nouvelles. Un plaisir purement sensoriel, zéro intellectuel.
Alors, allez-y, osez vous prononcer ! Votre appréciation d’un vin ne fera peut-être pas l’unanimité. Qu’importe. Nul ne détient le monopole du bon goût. C’est l’idée même de Chacun son vin : une pluralité d’opinions pour une pluralité de vins.
Car en plus de vous donner accès aux commentaires de chroniqueurs professionnels, Chacun son vin vous donne accès à un forum gratuit. Je me joins donc à Bill, Marc et Rémy, mes complices dans cette nouvelle aventure, pour vous convier à y participer, sans gêne et sans modération. Au plaisir de vous lire et d’échanger avec vous.
À propos des étoiles
Plutôt que d’adopter la notation sur cent points comme certains de mes collègues de Chacun son vin, j’ai préféré garder les mêmes barèmes que pour Le guide du vin, c’est-à-dire une séquence de zéro à cinq étoiles.
Chaque vin que je décris est donc noté dans sa catégorie et non pas dans l’absolu. Ainsi, un vin courant a autant de chances qu’un grand cru de se mériter une note de quatre étoiles, pour autant qu’il s’avère excellent dans sa catégorie.
Mais surtout, gardez en tête que ce sont les mots qui décrivent le vin, pas les étoiles ni les pourcentages…