Le Sud-Ouest – Au-delà des terroirs battus
par Marc Chapleau28 sep 2015
Je n’ai pas vraiment hésité, quand on m’a demandé d’écrire un texte sur le Sud-Ouest.
Et ça n’a rien à voir avec le fait que j’ai déjà été — oh my god ! ça fait longtemps — intronisé dans l’Ordre de la Dive Bouteille de Gaillac. À l’époque du journal Voir, c’était. Tu te souviens, Dominique-Ann ? « Boivons, boivons, pâ-pom pâ-pom, boivons, boivons… ce saint clystèreeeeee de qualité, ohé ! » Et là, après avoir chanté devant un parterre d’invités endimanchés, il fallait faire cul sec avec un immense verre à vin bien rempli genre pot à fleurs ou aquarium, dans ces eaux-là. Épique, la soirée.
Mais trêve de sentimentalisme.
L’idée d’aborder le Sud-Ouest m’a souri d’emblée parce que c’est toujours agréable, pour nous autres chroniqueurs, de parler de vins et de régions moins bien connues et dans l’ombre, si on parle par exemple de la France, du Bordelais, de la Bourgogne, du Rhône et même du Languedoc. Même si, cela dit, il se vend à la SAQ moins de vins de la vallée du Rhône, de la Loire ou de l’Alsace que du Sud-Ouest.
Quel est le problème, alors ? Pourquoi, les ventes montrant pourtant le contraire, la notoriété de la région ne semble pas être ce qu’elle devrait être ? C’est à cause du nom, j’ai l’impression : une banale juxtaposition de points cardinaux. Voilà qui n’interpelle pas beaucoup, et qui ne fait pas vraiment rêver.
Ajoutons un peu d’eau au moulin. Nommez-moi la ville centre de cet important vignoble. Pas évident, n’est-ce pas ? Même bibi, pourtant rompu à ces pirouettes géographico-municipales, je ne suis pas certain. Toulouse ? Vérification faite, oui, c’est bien elle.
Et cependant, malgré cette méconnaissance, malgré cette situation pour ainsi dire en demi-teinte par rapport aux autres grands vignobles français, le Sud-Ouest propose des vins particuliers, à la fois originaux, généreux et souvent droits comme des i, qui incitent à la découverte.
Beaucoup de cépages autochtones
Car les atouts de la région sont bien palpables. À commencer par le réservoir de cépages autochtones qu’elle constitue, dont certains, le lauzet et le camaralet, tous deux aux arômes épicés, ont été réintroduits il n’y a pas si longtemps à Jurançon. Il y a aussi les valeurs sûres, depuis longtemps utilisées : le mauzac et le len de l’el (« loin de l’œil » en langue d’oc, ainsi appelé parce que la grappe pend loin du bourgeon du fait d’un pédoncule plus long — vous me suivez ?), le mauzac et l’autre bigleux disais-je, deux cépages blancs du Gaillacois ; le fer servadou, de la famille des carmenets comme le cabernet-sauvignon et utilisé en assemblage à Saint-Mont, Gaillac et Madiran mais presque à 100 % à Marcillac, où il est souvent appelé mansois ; le courbu, associé aux mansengs [man-sein] grand et petit de même parfois qu’à l’arrufiac pour donner les moelleux d’appellation jurançon et pacherenc-du-vic-bilh [pache-rinque-du-vic-bile] ; et aussi bien sûr la négrette, cultivée pour l’essentiel autour de Toulouse et qui entre dans l’élaboration des vins du Frontonnais.
Sans oublier, évidemment, les autres cépages emblématiques que sont le tannat à Madiran et le malbec à Cahors.
Des rouges moins tanniques qu’avant
À ce propos, il s’est passé une sorte de révolution dans le secteur du Madiran et celui de Cahors, au tournant des années 2000.
Les vins de ces deux régions, des rouges, demeurent toujours relativement costauds mais ils sont désormais en quelque sorte plus amènes, moins tanniques. Les vignerons s’organisent en effet pour vinifier de manière à ne pas accentuer l’astringence naturelle, sans pour autant renier la personnalité des vins.
Résultat : les madirans, cahors et cie sont toujours des vins de repas par excellence, auxquels la nourriture riche et roborative va comme un gant — les magrets et les confits, notamment. Mais, ils sont plus accessibles en jeunesse, on n’a pas, comme avant, à attendre une bonne dizaine d’années pour qu’ils s’assagissent.
On trouve aussi des blancs secs, des blancs moelleux, des blancs liquoreux et des rosés, dans le Sud-Ouest.
Les jurançons d’Henri Ramonteu et de Charles Hours, par exemple, continuent à briller, tandis que les pacherenc-du-vic-bilh — la version en blanc des madirans —, ceux d’Alain Brumont, notamment, font d’excellents compagnons de table entre autres avec les fromages de la région : bleu des Causses, ossau-iraty, tomme des Pyrénées, etc.
Y aller
De mon dernier passage là-bas dans le Sud-Ouest, j’ai rapporté quelques bonnes adresses.
Mais d’abord, pour traverser l’Atlantique et choisir un bon point de chute pour sillonner le vignoble, Toulouse est bien indiquée (surtout via un vol direct avec Air Transat). On peut aussi atterrir à Bordeaux ou à l’aéroport Tarbes-Lourdes-Pyrénées (en transitant par Orly).
Suggestions pour l’hébergement — et outre le désormais incontournable Airbnb : l’hôtel Central, à Pau, un sympathique deux-étoiles au très bon rapport qualité-prix et situé au coeur de la ville. À Cahors, l’Inter-Hôtel de France, un trois-étoiles près du fameux pont Valentré. Ou sinon, à Cahors toujours mais en périphérie, on peut s’offrir le grand chic au restaurant-hôtel du Château de Mercuès, établi dans une forteresse du 13e siècle.
Le tourisme : Rocamadour et Saint-Cirq-Lapopie sont deux très beaux villages historiques du Sud-Ouest, accrochés sur des falaises. J’ai personnellement préféré Saint-Cirq [saint-cirre], plus paisible et plus coquet bien que très fréquenté aussi.
À boire, aubergiste !
Voici une série de bons rouges du Sud-Ouest, pour l’essentiel sélectionnés à partir d’une dégustation organisée par l’agence Sopexa, qui veille aux intérêts des vins de la région, notamment au Québec.
Château Eugénie 2011 Cahors (15,95 $) : À petit prix, un cahors très satisfaisant, déjà fondu et prêt à boire, rien de complexe ni de compliqué mais on ne va pas chipoter, la matière est là, et ça goûte bon tout en étant conforme aux normes de l’appellation.
Domaine Rotier Renaissance 2011 Gaillac (22,15 $) : Violacé moyen, nez attrayant de fruit bien mûr, des notes épicées ; un rouge mi-corsé, souple en bouche mais avec du tonus, une bonne acidité. Convaincant, et rafraîchissant, sans être dépourvu de longueur.
Causse-Marines Les Peyrouzelles 2013 Gaillac (21,15 $) : Violacé plutôt pâle, un peu de réduction au nez, d’assez intenses notes de cuir et de poivre blanc. Bouche à l’avenant, un brin « sauvage », résolument épicée jusqu’à la finale. Mi-corsé par ailleurs, et un léger reste de gaz carbonique. Original et rafraîchissant.
Château de Haute-Serre 2009 Cahors (25,25 $) : Un cahors qui a bien vieilli, a caractère fondu, en souplesse, cependant que le vin demeure charpenté et avec une solide dose de fruit. Tout à fait à point, bref, et on aime bien l’amertume finale, qui appelle la nourriture.
Château Bouscassé 2010 Madiran (21,25 $) : Très madiran, très tannat, tannique c’est dire, mais avec une bonne assise acide, qui apporte de la fraîcheur. Le vin demeure toutefois pour l’heure monolithique, bien qu’il ait déjà cinq ans bien sonnés. À carafer plusieurs heures à l’avance, ou à mettre de côté quelques années.
Château Montus 2010 Madiran (30,25 $): Profondeur manifeste dès l’étape du nez, il y a du bois, c’est normal, mais aussi beaucoup de fruit. La bouche suit, bien bâtie, bien serrée, avec de la minéralité. Déjà très bon, et un excellent candidat pour la cave (horizon 2018-2020).
Château Les Hauts d’Aglan Cuvée A 2009 Cahors (26,95 $) : De la complexité au nez, des accents herbacés également, réglissés aussi. Bouche à l’avenant, concentrée et fondue, en souplesse.
Château Montauriol Tradition 2013 Fronton (15,40 $) : Caractère engageant au nez, très sur le fruit ; saveurs à l’avenant, pas très corsées, nerveuses, tout en fruit. Rien de compliqué, mais on en a pour son argent, vraiment.
Santé !
Marc
P.S. L’équipe de Chacun son Vin s’est réunie il y a quelques semaines, le temps d’une dégustation de vins du sud-ouest de la France.
Pour voir la gamme complète des vins goûtés, cliquez sur : Les vins du Sud-Ouest de la France
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